L’affectation de la vertu comme bonheur ?

de Laurent Henry

 

 Je venais toute juste de dépasser la quarantaine quand je repris des études à la faculté de la Sorbonne, et la philosophie fut une grande découverte pour moi qui ayant lu quelques écrivains je n’avais pas encore eu ce petit déclic qui changea mon orientation et mes opinions sur la philosophie comme je fus comme admiratif devant la pensée de Nietzsche. Je m’empressai donc de retirer dans une bibliothèque trois ouvrages du même auteur intitulés : Ainsi parlait Zarathoustra, Par delà le bien et le mal et la Généalogie de la morale.  Et je me mis donc à les « étudier », avec minutie – et non pas avec parcimonie, le terme serait trop vertueux pour moi ou trop vicieux, peu importe le terme – et je pris le temps d’analyser et de restituer ses pensées et ses grands mouvements. Je fus dans un embarras tel que je les achetai sur le champ. Et ce, j’y découvris un grand sérieux pour l’art et la récupération des prêtres ascétiques qui propagent l’idée de « faute » pour faire du bonheur le but ultime de l’homme où c’est souvent la dissimulation et la ruse qui en décousent. Alors je fus comme ébloui par les « ténèbres » 1 comme un bon vivant se prélasserait devant la mort ; là où le « décadent » veut tirer son épingle du jeu et ce pour obtenir le salut : l’immortalité par excellence ; il doit donc pour cela se montrer vertueux mais c’est la dépravation et la corruption qui le guettent pourtant et c’est son pessimisme qui prédomine. Il n’est donc que « volonté de néant » et où il se mène si durement avec lui-même, comment pourrait-il être par là affirmation de la vie, je le demande ; car s’il se mène si durement c’est en vue d’une fin : le bonheur et de là la nécessité d’appliquer une morale qui puisse rendre compte de cette fin. Mais qu’est-ce que la morale : au sens étymologique c’est ce qui est relatif aux mœurs. Dans un sens ordinaire c’est l’ensemble des règles de conduite et de valeurs au sein d’une société ou d’un groupe, par exemple la morale chrétienne. Mais n’est-ce pas celle-ci qui précisément a le plus d’influence sur les masses justement parce qu’elle est un objet d’utilité pour l’homme qui s’en sert pour atteindre le bonheur car celui-ci y voit un instrument de prédilection, ce qui n’est pas faux, mais pour son propre intérêt d’où un « individualisme exacerbé ». Pour l’individu la morale est un bienfait dans le sens où il « se joue » d’elle pour atteindre ses fins et non pas un moyen judicieux par le biais unique de la vertu comme le prône l’église et donc le « faux » dévot qui en est son représentant :

Le désir de la chair en tant que tentation

Dicte repentir, expiation, exaltation,

Telle est la logique qui mène à la vertu

Telle est la nostalgie des paradis perdus…2

    Je dis « faux » car derrière les apparences il y toujours un autre homme ; comme s’il n’y avait qu’un monde-vérité posant d’emblée le « bien » et le « mal » alors qu’il y a un monde-apparence qui pourquoi ne serait-il pas le seul car pourquoi chercher le vrai plutôt que le faux puisque celui-ci délimite où est le vrai exactement, et c’est donc la « fausseté » qui est vraie car bien dans la réalité, où les valeurs de « bien » et de « mal » ne sont plus que les valeurs représentatives d’une « fiction eudémoniste ». D’ailleurs Nietzsche n’écrit-il pas dans le crépuscule des idoles : « Les raisons, pour lesquels ce monde-ci [c’est-à-dire le monde sensible] a été désigné comme monde apparent, en constituent bien plutôt la réalité – une autre réalité est absolument indémontrable ». En outre si Nietzsche avait une faveur pour le scepticisme, c’est « sans doute » que comme je le disais sur l’heure que le faux délimite où est le vrai exactement revient à dire qu’il est en théorie salutaire de connaître la fragilité de nos connaissances même celles qui nous paraissent le mieux assurées. Le scepticisme devient alors un garde-fou contre le dogmatisme, c’est-à-dire une trop grande confiance dans le pouvoir de la raison. Pour dépasser toute vraisemblance dont semble nous réconforter le monde sensible il faut considérer que l’essence ramène toujours à elle-même les revendications phénoménales des vies souterraines où plonge l’artiste dans sa prospection de l’abîme découverte en elle-même et pour elle-même avec ses degrés d’assimilation naturels qui viennent alors s’enquérir de la pauvreté de la connaissance de son propre être.  Et là toute la lubricité du gorille à présent dompté disparaît puis surgit la ténèbre de l’obscurantisme le plus passionnel, le plus radical, s’efforçant, dans un retournement de voiler ce qui déjà se dévoilait à travers la vérité, lumière ouverte sur tous les compromis psychologiques des mœurs, elles-mêmes siégeant dans un sillage ontologique. Or Heidegger ne dit-il pas lui-même : «  nous sommes sur un plan où il y principalement l’être. L’être et le plan se confondent. » Probablement, la  dialectique ne différencierait pas corps et esprit, laissant présupposer une indifférence en un subjectivisme immanent à moins que le corps soit une disposition intrinsèque de l’esprit : il y a donc saut d’union par subordination.      Le corps répond de l’esprit en tant que partie intégrante de ce celui-ci ; j’y vois donc un spiritualisme émancipé se renouvelant dans son entité ontologique.

 

-         1 : D’ailleurs Lacan ne dit-il pas dans ses écrits, tome 1 : « Nietzsche fait figure d’une nova aussi fulgurante que vite rentrée dans les ténèbres ».

-         2 : Vers tirés de mon poème intitulé : « Le désir de Satan ».