Socrate (469-399 av. J.-C.) a vécu toute sa vie à Athènes en Grèce. Il a su
persuader ses concitoyens de réfléchir sérieusement aux questions de vérité et
de justice, convaincu que "la vie sans examen ne vaut pas la peine d'être
vécue".
Tout en "sachant qu'il ne savait rien", Socrate avait certaines convictions,
dont la principale était que le bonheur peut être obtenu par l'effort humain.
Plus précisément, il a recommandé de rechercher un contrôle rationnel de vos
désirs et d’harmoniser les différentes parties de votre âme. Cela produirait un
état de tranquillité intérieure semblable à celui de la connexion avec Dieu, que
rien du monde extérieur ne pourrait affecter.
Fidèle à sa parole, il affronta avec joie sa propre mort, discutant de
philosophie jusqu’à quelques instants avant de boire la ciguë meurtrière. Grâce
à son influence sur Platon et Aristote, il a en réalité inauguré une nouvelle
ère de la philosophie, et a ainsi façonné le cours de l’histoire européenne de
manière décisive.
Contextualisation
Socrate occupe une place unique dans l'histoire de l’étude du bonheur, car il
est le premier philosophe connu en Occident à affirmer que le bonheur peut être
obtenu grâce aux efforts de l'homme.
Comme la plupart des peuples antiques, les Grecs avaient une vision plutôt
pessimiste de l'existence humaine. Le bonheur était considéré comme un événement
rare et réservé uniquement à ceux que les dieux favorisaient. L'idée que l'on
puisse obtenir le bonheur par soi-même était même considérée comme une
démonstration d'orgueil.
Dans cet environnement sombre, l'optimiste Socrate entra en scène.
La clé du bonheur, soutient-il, consiste à détourner notre attention de notre
corps, pour se concentrer (presque) uniquement sur l’âme.
En harmonisant nos désirs, nous pouvons apprendre à apaiser notre esprit et
ainsi atteindre un état de tranquillité semblable à celui des dieux.
Une autre de ses idées est qu’une vie morale doit toujours être préférée à une
vie immorale, principalement parce qu'elle mène à plus de bonheur.
Nous voyons ici qu’au début de la philosophie occidentale, le bonheur est au
premier plan, tout en étant relié à d'autres concepts tels que la vertu, la
justice et le sens de l'existence humaine.
Courte biographie de Socrate
Le philosophe romain Cicéron a dit un jour que Socrate a « arraché la
philosophie au ciel et l'a ramenée sur Terre ».
Avant Socrate, la philosophie grecque répondait principalement à des questions
métaphysiques : Pourquoi le monde reste-t-il en haut ? Le monde est-il composé
d'une ou de plusieurs substances ?
Mais, ayant vu les horreurs de la guerre du Péloponnèse, Socrate se montra plus
intéressé aux questions éthiques et sociales : quelle est la meilleure façon de
vivre ? Pourquoi être moral quand les personnes immorales semblent en bénéficier
plus que nous ? Le bonheur, est-ce la satisfaction de nos désirs.
Célèbre pour son habilité à l’oral, Socrate développa une façon bien
particulière de remporter ses débats : la maïeutique. Cette méthode consistait
en un processus de questionnement conçu pour montrer l'ignorance de son
interlocuteur, et ainsi lui ouvrir la voie à la connaissance.
Socrate lui-même a admis être ignorant. Pourtant, nous pouvons surement dire de
lui qu’il était l’un des hommes les plus sages de son temps.
Comme une coupe vide, Socrate est ouvert à recevoir les eaux de la connaissance
partout où il peut les trouver.
Malheureusement, face à ses questions, il ne trouva la plupart du temps que des
personnes prétendant être sage mais ne sachant en réalité pas grand-chose.
La plupart de nos coupes sont en effet bien trop remplis d'orgueil, de vanité et
de croyances auxquelles nous nous accrochons afin de nous donner un sentiment de
sécurité.
Socrate représente un défi face à toutes nos idées préconçues, dont la plupart
sont basées sur une logique erronée. Inutile de dire que Socrate a déplu à
beaucoup de gens lorsqu'il leur faisait remarquer leur ignorance sur la place
publique.
Le prix que Socrate a payé pour sa recherche de la vérité aura été la mort: il a
été reconnu coupable de « corruption de jeunesse » et fut condamné à mort.
Au lieu de pleurer sur son sort ou de blâmer les dieux, Socrate fit face à sa
mort avec sérénité, discutant même gaiement de philosophie avec ses amis
quelques instants avant que la mort ne vienne le faucher.
Cela se comprend en fait facilement quand on sait qu’il considérait l’âme comme
éternelle.
Il pensait donc que la mort était la libération ultime des limites du corps
physique.
Contrairement à la croyance grecque prédominante à l’époque, selon laquelle
les morts se retrouvaient aux enfers (un lieu de punition où leur était réservée
une vie d’errance fantomatique), Socrate espère pouvoir poursuivre ses
recherches sur la vie et le bonheur et ainsi acquérir plus de connaissances.
Selon lui, tant qu’un esprit cherche sérieusement à explorer et à comprendre le
monde, il lui sera possible d’élargir sa conscience et d’atteindre de plus en
plus proche d’une sorte de bonheur ultime.
Trois dialogues sur le bonheur : Euthydème, le Symposium et la République
Bien que Socrate n’ait rien écrit lui-même, Platon, son élève, a mis sur papier
un grand nombre de dialogues où il occupe le rôle du personnage central.
Vous trouverez ici une liste
des oeuvres de Platon.
Un débat entre érudits fait toujours rage quant à la relation entre les
enseignements originaux de Socrate et les idées émises par Platon. Dans ce qui
suit, nous traiterons des points de vue exprimés par Socrate en tant que
personnage de de livre, mais également en tant qu’individu.
Par prudence, il faut tout de même préciser que plus nous parlons d'une "réponse
finale" ou d'une théorie complète sur le bonheur, plus nous nous rapprochons de
Platon plutôt que du Socrate historique.
Euthydème
C’est la première trace écrite en Occident qui traite du concept de bonheur.
Toutefois, son intérêt n’est pas seulement historique.
L’argument présenté par Socrate pour défendre son point de vue sur la nature du
bonheur est toujours aussi puissant aujourd'hui qu’il y a 2400 ans
Fondamentalement, Socrate tient à établir deux points principaux:
Socrate présente alors la conclusion suivante:
«Alors, que pouvons-nous conclure de tout cela ? N’est-il pas vrai que, parmi
toutes les choses, aucune n’est ni bonne ni mauvaise, si ce n’est la sagesse,
qui elle est bonne, et l’ignorance, qui elle est mauvaise ? »
Son interlocuteur acquiessa.
«Eh bien, regardons ce qui reste», dit-il. "Puisque nous désirons tous être
heureux, et que nous le devenons évidemment par l’utilisation - c'est notre bon
usage qui le permet – de choses extérieures à nous, et puisque la connaissance
est ce qui nous permet d’en faire cette bonne utilisation, tout homme doit ,
dans la mesure du possible, s’y atteler par tous les moyens : devenir aussi sage
que possible. »
«Oui » lui répondit-il.
Socrate explique ici que la clé du bonheur ne réside pas dans les biens que l'on
accumule, ni même dans les projets que l’on peut mener à leur terme, mais plutôt
dans l’interprétation qu’une personne elle-même donne à sa vie en la passant au
travers du prisme de la sagesse.
Il en ressort également une répudiation de l’idée selon laquelle le bonheur ne
consisterait qu’en la satisfaction de nos désirs. En effet, pour déterminer
quels désirs méritent d’être satisfaits, nous devons utiliser notre intelligence
critique (c’est ce que Socrate appelle « la sagesse »). Nous devons parvenir à
une compréhension de la nature humaine et découvrir lesquelles de nos désirs
font ressortir le meilleur de l'être humain, et mettre de côté ceux empêchant
son fonctionnement normal.
Nous pouvons sans aucun doute en conclure que Socrate a été le premier «
psychologue positif », dans la mesure où il a appelé à une compréhension
scientifique de l'esprit afin de déterminer ce qui conduit réellement au bonheur
humain.
Le Symposium
Ce dialogue a lieu lors d'un dîner et le sujet du bonheur y est évoqué alors que
les convives prirent la parole chacun à leur tour pour prononcer un discours en
l'honneur d'Eros, dieu de l'amour et du désir.
Le docteur Eryximaque prétend que ce dieu est capable de nous apporter le
bonheur avant tout le monde. Le dramaturge Aristophane partage cet avis,
affirmant qu'Éros est « cet assistant de l'humanité… qui élimine des maux dont
la guérison procure le plus grand bonheur à la race humaine ».
Pour Eryximachus, Eros est une force qui donne vie à toutes choses, y compris le
désir humain, et est donc la source de tout bien. Pour Aristophane, Eros est la
force qui cherche à réunir l'être humain après sa scission entre masculin et
féminin.
Pour Socrate cependant Eros a un côté plus sombre car, en tant que
représentation du désir, il aspire constamment à plus et n'est jamais
complètement satisfait.
En tant que tel, il ne peut pas être un dieu à part entière, car la divinité est
censée être totale et éternelle. Néanmoins, Eros est d'une importance vitale
dans la quête humaine du bonheur, puisqu'il est l'intermédiaire entre l'humain
et le divin.
Eros est ce pouvoir du désir qui commence par la recherche de plaisirs
physiques, mais qui peut être transformé pour poursuivre les choses les plus
hautes de l'esprit. L'être humain peut en effet être éduqué pour s'éloigner de
l'amour des choses qui périssent pour se concentrer sur celui de la Beauté
elle-même.
Lorsque cela se produit, l'âme en trouve une satisfaction complète. Socrate
décrit cela comme une sorte de révélation divine, comme si un voile nous tombait
de devant les yeux et que l’on voyait la vérité de l’existence.
Comme il le dit:
« Si la vie de l'homme vaut la peine d'être vécue, c'est bien lorsqu'il a
atteint, par son âme, cette vision de la beauté. Et une fois que vous l'aurez
vu, vous ne serez plus jamais séduit par le charme de l'or ou des vêtements,
vous ne vous soucierez plus des beautés qui vous coupaient le souffle autrefois…
et quand on discerne cette beauté, on aperçoit la vraie vertu, pas seulement son
apparence. Et quand un homme aura su faire sienne cette vertu parfaite, il sera
appelé l'ami de Dieu, et si jamais l'homme est capable de jouir de
l'immortalité, elle lui sera alors donnée. »
Alors que Socrate pensait que cet élévation quasi-mystique devait s’accomplir
par la philosophie, d’autres penseurs reprendront ce même thème mais en lui
donnant une interprétation religieuse ou esthétique : les penseurs chrétiens
diront que le plus grand bonheur est la vision pure de Dieu (par exemple, Saint
Thomas d’Aquin), tandis que d’autres affirmeront que c’est une vision de la
beauté via l’art ou la musique qui nous rendra le plus heureux (Schopenhauer).
Dans tous les cas, il reste l’idée que c’est par une expérience unique de
vérité, de beauté ou de divin, que toutes les souffrances et tribulations de
notre vie prendront réellement un sens, et que nous verrons réellement en quoi
elle mérite d’être vécue.
C'est une sorte de Saint Graal qui ne vient qu'après un long cheminement.
La République
Dans
le chef-d'œuvre de Platon qu’est La République, Socrate essaye de prouver que la
personne juste est plus heureuse que la personne injuste. Comme, comme il l'a
déjà expliqué dans Euthydème, comme tous les hommes désirent naturellement le
bonheur, nous devrions tous chercher à mener une vie juste.
Pour défendre cet argument, Socrate souligne de nombreux autres points
concernant :
Le premier argument présenté par Socrate fait une analogie entre la santé du
corps et ce qu’il appelle la justesse de l’âme.
Nous préférons certes tous être en bonne santé que malades, or la santé n’est
rien d’autre que l’harmonie entre les différentes parties du corps, chacune
jouant son rôle.
Il s'avère que la justesse est une sorte d'harmonie similaire, mais entre les
différentes parties de l'âme.
La fausseté, en revanche, est définie comme une « sorte de guerre interne » à
l’intérieur de l'âme : une rébellion dans laquelle un élément indésirable - la
partie sensible au désir de la nature humaine – travestit la raison et prend un
pouvoir dominant.
En revanche, l’âme juste est celle qui possède « l’harmonie » : peu importe ce
que la vie jette sur le chemin l'homme juste, il ne perd jamais son calme
intérieur et peut maintenir la paix et la tranquillité malgré des circonstances
de vie difficiles.
Ici, Socrate redéfinit efficacement le concept conventionnel de bonheur : il le
présente via des éléments internes, et non externes à l’homme.
Le deuxième argument présente une analyse du plaisir. Socrate veut montrer que
vivre une vie vertueuse procure plus de plaisir que de vivre une vie non
vertueuse. Ce point est bien entendu relié au précédent, dans la mesure où l’on
pourrait soutenir que l’harmonie psychique résultant d’une vie juste apporte
avec elle plus de paix et de tranquillité intérieure, elle est sans doute plus
agréable que la vie injuste qui tend à susciter culpabilité, stress, anxiété et
discorde intérieure.
Mais ici, Socrate veut montrer qu'il existe d'autres considérations à prendre en
compte pour souligner les plaisirs supérieurs d’une vie juste : d’une part la
tranquillité d'esprit, mais également l'excitation de la recherche du savoir,
produisent un état de bonheur presque divin chez l'homme.
Le philosophe est à l’apogée de cette quête : après s'être débarrassé des
aveuglements de l'ignorance, il peut explorer le domaine supérieur de la vérité.
Cette expérience rend tout plaisir matériel insipide en comparaison.
L’argument (sans doute le plus puissant), Socrate le dédie à Zeus. Il s’agit du
concept de « relativité du plaisir ».
La plupart des plaisirs n’en sont en réalité pas vraiment, mais résultent
simplement de l'absence de souffrance.
Par exemple, si je suis très malade et que je vais soudainement mieux, je
pourrais dire que mon nouvel état de santé est agréable, bien qu’il s’agisse
plutôt d’une absence de maladie.
Bientôt, ce « plaisir » deviendra neutre et terne à mesure que je m'adapterai à
ma nouvelle condition.
Presque tous nos plaisirs sont relatifs, par conséquent, ils ne sont pas
purement agréables.
Un autre exemple pourrait être celui de la consommation de drogues : cela peut
produire un état de plaisir intense à court terme, mais entraînera
inévitablement un état de douleur opposé.
Socrate prétend toutefois que certains plaisirs ne sont pas relatifs, car ils
concernent des parties supérieures de l’âme qui ne sont pas liées aux choses
physiques. Ce sont les plaisirs philosophiques - les purs plaisirs résultant
d’une meilleure compréhension de la réalité.
Quelques centaines d’années après Socrate, le philosophe Épicure reprendra cet
et établira une distinction très intéressante entre les plaisirs « positifs » et
« négatifs ».
Le plaisir positif dépend de la douleur car ce n’est rien d’autre que
l’élimination de la douleur : vous avez soif, vous buvez donc un verre d’eau
pour vous soulager.
Le plaisir négatif, cependant, est cet état d’harmonie où vous ne ressentez plus
aucune douleur et n’avez donc plus besoin d’un plaisir positif pour vous en
débarrasser.
Le plaisir positif est toujours quantifiable et mesurable sur une certaine
échelle. Par exemple, votre dernier repas était peut-être bon, mais lui
donneriez-vous la note de 10/10 ? Surement pas.
C’est pour cette raison que les plaisirs positifs risquent d’être frustrants. Il
existera toujours une situation préférable à la vôtre, ce qui rend en fin de
compte toute vos expériences moins désirables.
Les plaisirs négatifs, cependant, ne sont pas quantifiables : vous ne pouvez pas
vous demander « dans quelle mesure ne vous sentez-vous pas affamé? ». Il s’agit
plutôt d’états binaires « oui-non ».
Épicure en conclue donc que le véritable bonheur correspondrait à l'état de
plaisir négatif, qui est essentiellement une absence de désir non réalisé.
Il va sans dire que l’on peut établir des ponts entre cette idée et d’autres
concepts, comme par exemple la doctrine bouddhiste de l’accession au nirvana via
la suppression du désir.
Conclusion
On peut dire que Socrate (vu à travers les écrits de Platon) épouse les idées
suivantes sur le bonheur :
Si vous avez une autre vision de la vie et du bonheur, c’est tout à fait votre
droit ! Par exemple, peut-être serez-vous intéressés par ce que vous propose ce spécialiste
en porte-bonheur.
Quoi qu’il en soit, s’intéresser à la pensée de Socrate peut s’avérer
intéressant, ne serait-ce que pour comprendre l’une des œuvres philosophiques
qui aura le plus influencé le monde dans lequel nous vivons.
Article proposé par le site la
porte du bonheur.