Âme, Identité Spirituelle

  Paul Moyne 

"...il en est de même à l’égard de l’âme ; quand elle  regarde fixement sur ce que la vérité et l’être illuminent, elle le comprend, le connaît, et montre qu’elle est douée d’intelligence ; mais quand elle regarde ce qui est mêlé d’obscurité, ce qui naît et périt, sa vue s’atténue, elle a seulement des opinions, passe sans cesse d’une chose à l’autre, et semble dépourvue d’intelligence."(cf. Platon - La République – 509a),

 

"Est-ce que l’homme d’ici-bas est une raison formelle qui fait que l’homme est homme, différente de l’âme qui produit cet homme et qui lui donne de vivre et de raisonner, ...

Mais alors qu’est donc cette raison formelle ? Peut-on dire qu’"animal raisonnable", dans la définition, tient la place de "vie raisonnable" ? L’homme serait alors une vie raisonnable.

Mais est-il possible qu’il y ait une vie sans âme ? Ou bien en effet l’âme donnera cette vie raisonnable, et l’homme sera une activité de l’âme et non une essence, ou bien l’homme sera l’âme lui-même.

Mais si l’âme raisonnable est l’homme, quand cette âme s’en va dans un autre animal, comment peut-elle ne pas être un homme ?" (cf. Plotin - Traité 38 – 4, 5 à 35), 

 

"Le meilleur est le dedans, à qui les courriers du corps ont tous rendu compte et qui présidait, qui jugeait sur chaque réponse, tandis que le ciel et la terre, avec tout ce qu’ils contiennent, disaient : nous ne sommes pas Dieu, et : Il nous a fait, Lui. De cela le dedans a pris connaissance par le ministère du dehors.

Moi donc, au-dedans, moi, moi en tant qu’âme, j’ai de cela pris connaissance par les organes de mon corps." (cf. saint Augustin – Confessions – Livre X – 6, 10), 

 

"Ceux qui ont apparié notre vie à un songe, ont eu de la raison, à l’aventure plus qu’ils ne pensaient. Quand nous songeons, notre âme vit, agit, exerce toutes ses facultés, ni plus ni moins que quand elle veille ; mais si plus mollement et obscurément, non de tant certes que la différence y soit comme de la nuit à une clarté ; oui comme de la nuit à l’ombre : là elle dort, ici elle sommeille, plus ou moins Notre âme recevant les fantaisies et opinions qui lui naissent en dormant, et autorisant les actions de nos songes de pareilles approbations qu’elle fait celles de jour. " (cf. Michel de Montaigne – Essais, II, 12).

 

Qu’en est-il donc de l’âme pour l’homme moderne, cette mystérieuse identité spirituelle pressentie depuis des millénaires, sachant que l’enfant de l’homme ne vit en état de  conscience qu’à partir de quelque vingt mois,

et que certains animaux évolués manifestent un proto - état de conscience ?

 

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A propos d’identités

 

 

En 1637, dans la quatrième partie du "Discours de la Méthode", Descartes remarquait avec la plus grande assurance :

".... j'étais une substance dont toute l'essence ou la nature n'est que penser, et qui, pour être, n'a besoin d'aucun lieu ni ne dépend d'aucune chose matérielle, en sorte que ce moi, c'est à dire l'âme par laquelle je suis ce que je suis, est entièrement distincte du corps, et même qu'elle est plus aisée à connaître que lui, et qu'encore qu'il ne fut point, elle ne laisserait pas d'être tout ce qu'elle est".

 

Puis avec son fameux "Cogito ergo sum" (je pense donc je suis) proposé en 1644 dans les "Principes de philosophie",  il exprima ce qui lui apparaissait comme le principe fort de l’humain :

"En l’homme il convient de distinguer très nettement deux entités, la chose pensante (res cogitans) et le corps, un corps compris dans l'étendue et la complexité de ses organes (res extensa). ".

Hélas, Descartes ne put développer cette compréhension (n’osa pas) ; pour cela, il aurait fallu qu’il s’affranchisse de certaines idées archaïques, parfois naïves, souvent dogmatiques du monde,

des remises en cause difficilement concevables en son temps !

 

Par bonheur, en ce début de vingt et unième siècle, les sciences jettent un nouvel éclairage sur la dynamique du réel,

un nouvel éclairage qui, en particulier, permet de différencier nettement deux ordres de phénomènes : physique et transcendant, et, par-là même,

deux natures d’identités : physique et spirituelle.

 

Cependant, lorsque l’on désire débattre d’identités il convient, en préalable, de s’accorder sur les notions de pensée, de conscience et de sujet, notions dont les ambiguïtés sclérosent les discours actuels des philosophes et des théologiens.

 

En effet et nous n’avons cesse de l’argumenter, la pensée n’est pas un opérateur susceptible de reconnaître, de juger, de choisir, in fine : de décider et d’agir ; en revanche, elle est représentative d’un vaste ensemble d’activités d’ordre transcendant et c’est pourquoi, dans une quête des causes primordiales, il convient de parler d’activités de pensée et non d’activités de la pensée.

 

Il en est de même pour la conscience ; il est plus réaliste de parler d’état de conscience, un état d’être à la fois spatio-temporel et transcendant.

Plus précisément, l’état de conscience est un état bio-spirituel qui n’est pas uniquement le fruit de processus cérébraux, c’est aussi le fruit d’activités d’entendement d’ordre transcendant, à la discrétion de l’entité qui nous anime et qui se reconnaît sous le couvert du moi (je, ego, sujet, esprit),

une entité non omnipotente puisque, en et par nous, elle est notamment obligée d’œuvrer pour savoir et de chercher pour savoir davantage, et qu’en outre, elle ne peut surmonter de multiples contraintes comme celles liées à la relativité.

 

Ce préalable étant posé, abordons le complexe et subtil problème de l’identité,

complexe et subtil car il apparaît désormais clairement que nous menons deux existences simultanées en interaction permanente :

-   l’une biophysique qu’exprime notre banale identité physique,

-   l’autre spirituelle qu’attestent les incessantes activités d’ordre transcendant qui se déroulent dans le domaine de l’abstraction.

 

Exprimé différemment, nous vivons physiquement dans l’espace qui contient le réel,

et spirituellement dans un au-delà du réel dont le domaine de l’abstraction est l’expression singulière.

 

De plus, nous savons que l’identité physique est composite.

Ainsi, outre la banale identité exprimée par les macro caractères du corps, nous manifestons une identité génétique et aussi, une identité électromagnétique puisque nous sommes les pôles de permanentes et spécifiques vibrations électromagnétiques.

 

En fait, tous les états du réel résultent d’actualisations de potentialités,

actualisations qui nécessitent des activités physiques et des activités transcendantes.

En toute rigueur, nous pouvons donc avancer que chaque chose et chaque être a une identité spirituelle déclinée sous la notion d’âme, à l’instar des nombreuses croyances qui émaillèrent et émaillent encore, l’histoire de l’humanité  (nous réservons cependant la notion d’âme à l’homme pour mieux le distinguer, car c’est le seul être qui est doté d’un état de conscience).

 

Courte digression.

 

Pensons à ceux qui actuellement nous expliquent la culture et la nature, à partir :

- du totémisme en montrant la continuité biophysique et morale entre les humains et les autres êtres, sans jamais reconnaître le caractère dual, physique et transcendant, du psychisme,

- de l’analogisme en faisant sans cesse référence aux relations et aux lois universelles, comme si ces relations et ces lois étaient des opérateurs dotés de pouvoirs et de facultés ; rappelons que l’ordre naturel, notamment la structuration des choses, n’est pas le fait de lois, en revanche les lois sont les expressions (les formalisations) de comportements plus ou moins immuables, ce qui est fort différent,

- de l’animisme en raison d’activités semblables et communes à tous les êtres, en particulier la prise en compte permanente de mêmes repères de valeur,

- du naturalisme de par la primauté accordée aux aptitudes physiques plutôt qu’aux aptitudes culturelles.

 

Soyons clairs, la culture n’est autre que l’expression par le moyen de l’état de conscience, d’activités transcendantes singulières notamment celles qui permettent des entendements communs et la coopération entre les individus.

En d’autres termes, l’homme n’est pas devenu transcendant au réel, mais certaines activités transcendantes qui le caractérisent, peuvent émerger de son identité spirituelle, de son âme, par le biais de l’état de  conscience,

état de conscience qui, nous le répétons à nouveau, permet à l’entité créatrice divine qui l’anime et conduit le monde, de se reconnaître sous le couvert du je (moi, ego, sujet, esprit).

 

Nous voici donc fort éloignés des discours actuels qui tentent de nous faire croire que c’est le cerveau qui pense,

et de ceux ambigus, du genre :

puisque "les propriétés physiques du corps distinguent une personne de toutes les autres, … c’est le corps qui donne une forme distincte." (cf. Andrew Gray).

 

L’individualité (l’individualisation) dépend d’interactions incessantes, entre les activités d’ordre transcendant qui caractérisent l’identité spirituelle (l’âme) et les molécules qui constituent le corps,

interactions qui traduisent l’implication permanente d’une entité créatrice, de caractère divin, maître du temps et du sens.

De ce fait,

le corps et le cerveau  sont des moyens biologiques qui permettent de penser et d’appréhender le monde,

moyens biologiques qui sont aussi, des mémoires et des vecteurs de sens, en particulier d’informations et d’organisations de processus biologiques.

 

En outre, l’homme n’est pas uniquement l’objet et le sujet du savoir comme le prônent actuellement nombre de philosophes ; c’est un extraordinaire pôle qui permet l’élaboration et l’expression d’activités transcendantes intéressant non seulement le phénomène de la vie, mais aussi l’univers,

notamment puisque nous sommes, en permanence, construits et reconstruits par échanges de particules quantiques.

 

D’autre part, nous savons que les caractères d’un individu résultent d’actualisations de potentialités génétiques et que ces actualisations dépendent de nombreux facteurs comme l’impact de l’environnement sur la structuration et le développement de la cellule mère.

Bien évidemment, les généticiens ne maîtriseront jamais totalement, ces processus.

Ainsi, il ne peut y avoir des individus rigoureusement identiques des points de vue physique et psychique ; en particulier, il n’y aura jamais de vrais clones, de parfaits clones.

La problématique à connotation philosophique et théologique :

si l’on pouvait effectuer le clonage parfait d’un homme, qu’en serait-il du moi (je, ego, sujet, esprit), en d’autres termes, aurait-on également cloné le je (moi, ego, sujet, esprit) ?,

ne se pose donc pas.

Fin de la digression.

 

*

 

Que l’on puisse désormais prôner, avec assurance, le "réalisme" (l’existence) d’une identité spirituelle propre à chaque individu et dépendante, en partie, d’actualisations de potentialités génétiques, conduit, bien évidemment, à une nouvelle et révolutionnaire compréhension de l’esprit, de la vie spirituelle et de la spiritualité.

 

Blaise Pascal s’étonnait déjà de la vulnérabilité et de la sensibilité de l’entité qui, en nous, reconnaît et juge :

"L’esprit de ce souverain juge du monde. n’est pas si indépendant qu’il ne soit sujet à être troublé par le premier tintamarre qui se fait autour de lui. Il ne faut pas le bruit d’un canon pour empêcher ses pensées .... une mouche bourdonne à ses oreilles : c’en est assez pour le rendre incapable de bon conseil.

Si vous voulez qu’il puisse trouver la vérité, chassez cet animal qui tient sa raison en échec et trouble cette puissante intelligence. "(cf. – Pensées – fragment 44),

 

"Les choses ont diverses qualités et l’âme diverses inclinaisons, car rien n’est simple de ce qui s’offre à l’âme, et l’âme ne s’offre jamais simple à aucun sujet. De là vient qu’on pleure et qu’on rit d’une même chose."(cf. Pensées - fragment 50),

 

"En un mot, le moi a deux qualités,

il est injuste en soi en ce qu’il se fait centre de tout,

il est incommode aux autres en ce qu’il les veut asservir,

car chaque moi est l’ennemi et voudrait être le tyran de tous les autres." (cf. Pensées - fragment 509).

 

Nous pouvons également souligner l’engouement pour l’utopie et les modes futiles,

ou encore l’attitude, parfois plus que bienveillante, de certaines personnes réputées intelligentes, face aux idées farfelues véhiculées par les sectes.

 

Ces faits n’attestent-ils pas de non omnipotence et de servitudes inexorables (de contraintes insurmontables) ?

Certes, et parmi celles-ci rappelons l’impact des incessantes redites en périodes d’éducation, sur la structuration du psychisme.

 

Ces répétitions s’accompagnent en effet, d’un "renforcement" des liaisons synaptiques par le biais d’un processus de phosphorylation, à tel point que les idées et les concepts constamment ressassés peuvent devenir des vérités quasiment imprescriptibles (songeons aux processus communément appelés "lavages de cerveau").

C’est d’ailleurs pourquoi il y eut, si aisément, transmission au cours des générations, de fausses vérités (vérités du moment, d’époques, de civilisations), et bien entendu, de croyances aujourd’hui obsolètes.

Souvenons-nous de J. P. Sartre s’exclamant : "Il y a foi dans la mauvaise foi." (il est vrai qu’il connaissait bien le sujet !).

 

Ne tombons cependant pas dans les pièges intellectuels tendus par certains chercheurs, à l’instar de Joseph Ledoux :

"Mon idée de la personnalité est très simple : c’est que notre "soi", l’essence de ce que nous sommes, est le reflet des configurations d’inter connectivité entre les neurones de notre cerveau.... Etant donné l’importance de la transmission synaptique pour le fonctionnement cérébral, cela devrait être un truisme de dire que le "soi" est synaptique....

La question posée n’est pas « comment la conscience émerge-t-elle du cerveau ? » mais plutôt «comment notre cerveau fait-il ce que nous sommes ?»" (cf. Neurobiologie de la personnalité).

 

L’essence de ce que nous sommes, n’est pas le reflet des configurations d’inter connectivité entre les neurones.

Ce sont des facettes (des expressions) de l’implication de cette essence en nous, qui dépendent des configurations synaptiques, ce qui est fort différent !

Quant au cerveau, rappelons-le à nouveau,  il ne fait rien de par sa nature biophysique, il permet de faire, là encore, nuance !

 

Gardons-nous donc des attendus ambigus et simplistes qui actuellement, foisonnent dans la littérature spécialisée, du genre :

le cerveau apprend différentes choses en utilisant des modules distincts...., le cerveau du fœtus peut discriminer des évènements...., le cerveau traite les stimulus ...., les neurones entrent en compétition pour survivre, etc., etc.

 

Gardons-nous également des discours qui ne reconnaissent dans la Personne métaphysique et morale que l’acteur susceptible de rendre compte de ses actes, c’est à dire qui ne reconnaissent que l’acteur conscient.

Sans oublier les philosophes qui nous abreuvent de concepts, osons le dire : fumeux, comme le soi minimum, le soi implicite, le soi explicite, le soi narratif, le soi social, …, 

autant de faux-semblants qui permettent de taire un fait essentiel :

l’implication en nous et dans le monde, d’une entité créatrice d’ordre transcendant, ipso facto, de caractère divin.

 

En outre, le flou qui entoure les concepts essentiels imaginés par les hommes d’église, même s’il est apaisant, ne permet plus de crédibiliser leurs discours quant ils parlent des causes primordiales !

Par exemple, l’état d’être du sujet, n’est pas, comme disent les bouddhistes, une "illusion permanente siégeant dans l’impermanent.".

Durant l’existence, l’état d’être du sujet siège à la fois dans l’espace qui contient le réel, et dans un au-delà du monde : le royaume des potentialités et des activités transcendantes qui conduisent aux virtualités, aux pensées,  …, aux anticipations, aux rêves, …

 

D’illustres ancêtres en eurent-ils le pressentiment, en faisant valoir la notion d’âme ?

 

 

Brève évocation d’ancestrales compréhensions de l’esprit et de l’âme

 

 

En des temps préhistoriques, nos ancêtres tentèrent de localiser les pouvoirs utiles et les pouvoirs nuisibles qui leur semblaient émaner des êtres et des choses.

 

Ainsi, d’après les fossiles, au Néolithique, le crâne était reconnu comme la "source" principale du pouvoir mystérieux qui agit en et par nous.

 

Beaucoup plus tard, pour les prêtres mésopotamiens (2.000 ans avant notre ère), voire pour les prêtres sumériens (-4.000 ans), tous observateurs privilégiés du comportement des êtres avant la mort puisque ordonnateurs des sacrifices d’animaux, et même d’hommes,

ce pouvoir était censé résider dans les viscères, plus précisément dans la vésicule biliaire.

 

En Egypte, probablement quelque 3.000 ans avant J.C., d’autres "spécificités" du pouvoir mystérieux manifesté par l’homme, sont reconnues émaner d’autres organes,

du cœur pour la connaissance et l’intelligence,

de la poitrine pour le courage,

du ventre pour les activités physiques.

 

Quant aux rédacteurs de la bible, influencés par les cultures environnantes, ils prescriront même :

 

"Seulement tu veilleras à ne pas manger le sang, car le sang, c’est l’âme ; tu ne mangeras donc pas l’âme avec la viande. Tu ne le mangeras pas mais tu le verseras par terre comme de l’eau." (cf. Dt. 12, 23-24).

 

A vrai dire, nous ne savons pas si l’expression c’est l’âme correspond aux concepts qui prévalaient en Israël six siècles avant J.C..

D’ailleurs, si l’on se réfère à la version espagnole de la Bible :

"Tan sólo ten cuidado de no comer la sangre, porque la sangre es la vida, y no comerás la vida con la carne. No la comas ; derrámala en tierra como el agua. " (cf. Dt. 12, 23-24),

le sang n’est point l’âme mais la vie !

Quel exégète répondra avec assurance ?

 

A la même époque, époque exceptionnelle dans l’histoire de l’humanité, Pythagore (-572, -497) imaginera deux entités essentielles,

- l’une, le Phrenes (l’intelligence) sise dans le cerveau,

- une seconde, le Thumos (la partie active de l’âme) dans le cœur, 

entités considérées comme principes vitaux.

Nous parlons d’époque exceptionnelle car elle fut également celle de Lao-Tseu (-570, -490) et de Confucius (-551,- 479).

 

Par la suite, Démocrite (-460, -370) privilégiera le cerveau où selon lui, réside l’intelligence tandis que Hippocrate (-460, -377) considèrera les principes vitaux comme véhiculés par l’air.

Courte digression : Démocrite, après avoir médité sur les fines particules qui composent la poussière, "proposa" la notion d’atome ; gardons-nous cependant des vulgarisations faciles qui tentent de nous faire croire qu’aux temps antiques, les Grecs connaissaient déjà cette structure intime de la matière, à l’instar de nos physiciens ! (fin de digression).

 

Aristote (-384, -322), s’inspirant d’Hippocrate, verra dans les nerfs, les vecteurs au sein des corps, des principes vitaux contenus dans l’air,

les vecteurs de ce qu’il nomma entéléchie :

"Ce qui naturellement fait mouvoir le corps, qu’il nomme entéléchie, d’une autant froide invention que nulle autre, car il ne parle ni de l’essence, ni de l’origine, ni de la nature de l’âme, mais en remarque seulement l’effet. " (cf. Michel de Montaigne parlant d ‘Aristote – Essais, II, 12).

 

L’entéléchie est un concept que nous pouvons d’ailleurs rapporter à ceux :

- de substance selon Descartes,

- de monade qui simple, autonome, impénétrable, omniprésente, serait pour Leibniz (1646 – 1716), l’élément actif des êtres et des choses,

- d’entité créatrice d’ordre transcendant (de caractère divin), désormais crédible de par les récentes avancées scientifiques.

 

Néanmoins, ce furent les platoniciens et les néoplatoniciens qui écrivirent les premières lettres de noblesse de l’âme et de l’Esprit :

 

".... ce qui produit le feu en lui donnant forme doit agir selon une raison (logos), que peut-il être d’autre qu’une âme, qui est capable de produire le feu, c’est à dire à la fois une vie et une raison formelle (logos), les deux étant  une seule et même chose.

C’est pourquoi aussi Platon dit que, dans chacun de ces éléments, il y a une âme, et ce terme d’âme, il ne l’entend pas autrement que comme une âme produisant précisément ce feu sensible." (cf. Plotin –Traité 38 – 11, 40).

 

Plus précisément, les néoplatoniciens virent dans l’âme une émanation de l’Esprit, dotée ainsi de pouvoirs spirituels.

Pour eux, il fallait aussi :

"que l’Esprit vive toutes les vies et sous tous leurs modes et qu’il n’y ait rien qu’il ne vive....,

Il est donc dans la nature de l’esprit de se transformer en toutes choses" (cf. Plotin - Traité 38 – 13, 15 et 25).

 

La notion de pneuma fit également école.

 

Selon Erasistrate d’Alexandrie, médecin (-320 ?,-250), l’énergie vitale nécessaire au corps (pneuma zoticon) va au cœur grâce aux veines pulmonaires, tandis que l’énergie vitale nécessaire au psychisme (pneuma psychicon) rejoint le bulbe rachidien par l’intermédiaire des nerfs,

une théorie reprise et rénovée, bien plus tard, par Galien (131, 201).

 

Galien, médecin grec dont les avis firent autorité en Occident jusqu’au XVII ème siècle, désireux de  prendre en compte l’ensemble des fonctions animales et psychiques des êtres, imagina en effet un pneuma trine composé de :

-  un  pneuma physicon inhérent aux aliments et destiné au foie où résiderait le pouvoir qui anime le corps,

- un pneuma zoticon qui, véhiculé par les veines jusqu’au cœur, agirait comme médiateur entre le pouvoir animant le corps et le pouvoir des sentiments et des passions,

-  un pneuma psychicon qui, transporté au cerveau par le sang, serait nécessaire à l’intelligence et aux facultés.

 

Comment ce pneuma pouvait-il être un et multiple ?

Galien s’abstint de le préciser ; il est cependant fort probable qu’il fut influencé par les platoniciens.

 

Citons aussi Philon d’Alexandrie (philosophe grec de confession juive, vers - 20, 45), pour qui, à l’instar des esséniens, la partie matérielle de l’âme est le sang, âme qu’il croyait  néanmoins composée d’air et de feu. (cf. Vie de Moïse – 1, 9).

Adepte de la métempsycose, Philon considèrera même l’espace qui nous environne, comme le séjour permanent des âmes avant leur incarnation, et imaginera dans les parties supérieures du ciel, le domaine des esprits.

 

Par la suite, quelques responsables religieux chrétiens, après avoir pris le contrôle des "sciences médicales", tenteront d’intégrer dans leurs croyances, des théories métaphysiques fondées sur l’étude des dissections,

tentatives osées qui conduiront les évêques, au synode de Reims en 1131, à  interdire, au haut clergé, la pratique de la médecine ; le pape Innocent III (1160, 1216) condamnera même les médecins qui œuvrent sans la présence d’un religieux.

 

Cependant, ne nous étonnons pas trop de ces comportements car à l’époque les connaissances étaient très primaires et les notions d’énergie vitale, de pneuma, d’âme et d’esprit, particulièrement floues,

les exemples abondent :

 

- Léonard de Vinci (1452 - 1519), se référant aux dissections qu’il pratiquait couramment, en viendra à croire qu’il y a transformation de l’esprit vital provenant du cœur, en esprit animal, dans la partie inférieure du cerveau, le rete mirabilis,

- Berengario de Carpi (1460 ? – 1530 ?), de Bologne, considérera que l’esprit vital est transformé en esprit animal au contact des sécrétions ventriculaires,

- André Vésale (1514 - 1564), flamand, dit père de l’anatomie moderne, condamné par l’inquisition, tentera de montrer que les ventricules cérébraux sont destinés à la conservation des esprits animaux,

- André Césalpin (1519 - 1603), docteur et botaniste italien, parce que le cœur est le premier organe qui émerge de l’embryon, reconnaîtra en celui-ci, le siège de l’âme végétative,

- Van Helmont (1577 - 1644), médecin flamand, imaginera une entité immatérielle, l’archée, censée représenter l’âme sensitive en charge de toutes les fonctions du corps ; il la situera même au niveau de l’estomac.

 

Descartes (1596, 1650), lui aussi,  se fourvoiera :

"Mais, à mon jugement, ceux qui repasseront souvent dans leur esprit les choses que j'ai écrites dans ma seconde Méditation, se persuaderont aisément que l'esprit n'est pas distingué du corps par une seule fiction ou abstraction de l'entendement, mais qu'il est connu comme une chose distincte, parce qu'il est tel en effet ...,

toutefois je dirai encore ici qu'il me semble que c'est une chose fort remarquable, qu'aucun mouvement ne peut se faire, soit dans le corps des bêtes, soit même dans les nôtres, si ces corps n'ont en eux tous les organes et instruments, par les moyens desquels ces mêmes mouvements pourraient aussi être accomplis dans une machine ; en sorte que, même dans nous, ce n'est pas l'esprit (ou l'âme) qui meut immédiatement les membres extérieurs, mais seulement il peut déterminer le cours de cette liqueur fort subtile, qu'on nomme les esprits animaux, laquelle, coulant continuellement du cœur par le cerveau dans les muscles, est cause de tous les mouvements de nos membres ...."(cf. Quatrième Réponse, 178).

 

A elles seules, ces différentes compréhensions de l’esprit, de l’âme et du rôle des organes, montre à l’évidence, l’impact des connaissances dans le raisonnement philosophique, ipso facto, dans le débat théologique,

et en conséquence, combien certaines compréhensions erronées du monde condamnent, à jamais, nombre de discours, même énoncés par d’illustres personnages.

 

Denis Diderot (1713 - 1784) et Jean d’Alembert (1717 - 1783) en furent conscients et conclurent dans une Encyclopédie qui reprend l’ensemble des connaissances à leur époque :

"Non seulement nous ne connaissons pas notre âme, ni la manière dont elle agit sur les organes matériels, mais, dans ces organes mêmes, nous ne pouvons apercevoir aucune disposition qui détermine l’un plutôt que l’autre à être le siège de l’âme.".

 

Il y aura encore quelques tentatives en vue de localiser l’âme et l’esprit, mais depuis le XIXème siècle et quant aux causes primordiales, les scientifiques avec leur compréhension mécaniste du monde, ont "enfermé" les philosophes et les théologiens dans une remarquable non-créativité. 

 

*

 

Remémorons-nous Socrate interrogeant ses disciples :

"Que voulez-vous ? voulez-vous avoir des âmes raisonnables, ou des âmes privées de raison ? Des âmes raisonnables.

Quelle espèce d'âmes raisonnables ? des saines ou des perverties ?

Des saines.

Que ne les cherchez-vous donc ?

Parce que nous les avons.

Pourquoi donc ces combats et ces discussions entre vous ? (cf. rapporté par Marc-Aurèle - Pensées, Livre onzième).

 

Oui, également en ce début de troisième millénaire ces discussions sont plus que jamais nécessaires compte tenu du désarroi de l’humanité et du manque de réponses crédibles apportées par l’intelligentsia aux problématiques essentielles,

en particulier celles qui concernent l’âme c’est à dire l’ identité spirituelle.

 

 

Identité Spirituelle, Âme, pour l’homme moderne

 

 

Platon dans Phèdre, imaginait l'âme comme un attelage que son cocher ne peut maîtriser, à cause de nombreux conflits internes.

 

Quant à Aristote, il voyait en elle, l'"entéléchie première d'un élément naturel ayant la vie en puissance" (cf. De l'âme, II, 1, 412 a 38-39),

le concept d'entéléchie étant censé recouvrir l'état de perfection ; à notre  connaissance, aucun de nos anciens maîtres ne proposa de plus "moderne" compréhension de l’âme.

Imaginer qu’un élément naturel a la vie en puissance, n'est-ce point pressentir le caractère universel du phénomène de la vie ?

 

Cependant, en de nombreuses civilisations, aujourd’hui encore, l’âme sera (est) reconnue comme un opérateur disposant de pouvoirs mystérieux.

Rappelons-nous saint Augustin :

 

"Mon âme s'interroge-t-elle sur ses propres énergies, elle n'ose trop se fier à elle-même." (cf. Confessions -  Livre X, 32-48),

"L’âme commande que la main bouge, et c’est  chose si facile qu’à peine distingue-t-on entre l’exécution et le commandement ; cependant l’âme est esprit, la main est corps.

L’âme commande que l’âme veuille, qui n’est pas autre qu’elle-même, et néanmoins elle ne fait rien. D’où vient ce fait monstrueux ? Pourquoi cela ? L’âme, dis-je, commande de vouloir, chose qu’elle ne commanderait pas à moins que de vouloir, et ce qu’elle commande ne se fait pas.

Mais c’est qu’elle n’est pas toute à vouloir, aussi n’est-elle pas toute à commander. Car autant qu’elle veut, elle commande, et, autant qu’elle ne veut pas, ce qu’elle commande ne se fait pas, puisque la volonté commande  qu’il y ait volonté et non pas une autre qu’elle, mais elle-même.

Elle n’est donc pas toute à commander. Car s’il y avait pleine volonté, il n’y aurait pas de commandement pour que cela fut qui déjà serait." (cf. Confessions – Livre VIII, 9).

 

Certes, la compréhension augustinienne des pouvoirs et des facultés est très primaire vis-à-vis de celle que nous pouvons avoir en ce début de troisième millénaire, néanmoins elle demeure remarquable car elle reconnaît  un fait essentiel : la "non-omnipotence" de l’âme, de l’esprit.

 

Par la suite, à l’instigation de pères de la chrétienté désireux de constamment privilégier la tradition biblique, et sous le couvert d’un anthropocentrisme exacerbé, l’homme et l’âme (l’esprit) furent dépouillés de leurs racines transcendantes et donc universelles

Or, qui peut oublier les envolées mystiques de Plotin ?:

 

"Si les âmes possédaient déjà la faculté de sentir, au moment ou elles ont été engendrées comme âmes, si donc elles ont été engendrées comme âmes pour entrer dans le devenir, il en résulte que, pour elles, entrer dans le devenir est inhérent à leur nature même." (cf. Traité 38. 1, 19),

"Mais dans la mesure où l’âme s’avance vers le "Sans Forme", étant alors dans l’incapacité totale de le saisir, parce qu’elle n’est pas délimitée par lui, …, elle glisse et elle craint de ne rien tenir du Tout". (cf. Traité 9 - 3, 5).

 

Pour ce grand mystique, quelque peu ignoré, l’âme ne relèverait donc pas directement d’un "Sans Forme", d’un "Pouvoir Unitaire", mais s’avancerait constamment vers lui.

 

Que pouvons-nous raisonnablement affirmer, aujourd'hui ?

 

Contrairement à ce que crut P.J.Barthez (1734 – 1806) fondateur de l’école vitaliste, les lois de la vie ne sont pas fondamentalement différentes des lois universelles.

Désormais les connaissances en biologie et en neurobiologie, permettent en effet d’affirmer que nous évoluons dans un cybermonde, fruit d’incessantes créations et de perpétuels recommencements, où le "sens" est omniprésent, et qu’ainsi, il n’existe aucun abysse séparant la matière inerte de la matière animée.

 

Hélas, cette véritable "révolution conceptuelle" s'opère sous la houlette de seuls monistes et sans grandes réactions des spiritualistes qui paraissent se satisfaire du "simplisme" scientifique.

 

Citons ainsi, les monistes qui ignorent systématiquement la prise en compte permanente des repères de valeur qui permettent d’assurer la cohérence et la dynamique de tout état du réel, inerte ou animé, perturbé ou en apparent équilibre,

et ce par le moyen d’ activités d’ordre transcendant.

 

Peut-on croire par exemple, que l'activité des cellules,

ces insondables et immenses usines où sont programmées et synthétisées en quelques milliardièmes de seconde, des multitudes d'enzymes dont les processus de fabrication échapperont toujours à notre entendement conscient,

recouvre d’heureux bricolages ?,

peut-on croire que l'activité des cellules se déroule sans intention primordiale, voire hors de tout dessein primordial ?

Bien évidemment non, un non sans appel.

 

 

*

 

En ce début de troisième millénaire, la compréhension du monde, se trouve donc bouleversée. 

Tous les phénomènes se révèlent  de caractère dual, ipso facto, l’identité des êtres.

Dès lors, la reconnaissance d’une nouvelle identité, l’identité spirituelle, s’impose, tandis que l’âme perd son ancestral statut d’opérateur.

 

Remémorons-nous à nouveau Plotin :

"C’est pourquoi aussi Platon dit que dans chacun de ces éléments (il s’agit des éléments du réel), il y a une âme, et ce terme d’âme, il ne l’entend pas autrement que comme une âme produisant précisément ce feu sensible. Ainsi ce qui produit le feu d’ici-bas est une vie ignée, un feu plus vrai. Donc le feu transcendant qui est encore plus feu, doit encore être plus en vie." (cf. Traité 38 - 11, 45).

 

L’intuition de Platon selon laquelle des âmes et un feu transcendant (un état de  transcendance) sont associés au réel, fut ainsi un remarquable pressentiment.

Cependant cette intuition riche de modernité, tomba en désuétude, laissant libre cours à d’incroyables errances de  l’entendement, notamment celles de Descartes :

 

"Bien que l’âme soit jointe à tout le corps, il y a néanmoins en lui quelque partie en laquelle elle exerce ses fonctions plus particulièrement qu’en toutes les autres. Et on croit communément que cette partie est le cerveau ou peut être le cœur ; le cerveau, à cause que c’est à lui que se rapportent les organes des sens ; et le cœur, à cause que c’est comme en lui qu’on sent les passions." (cf. Les Passions de l’Âme – Première partie, article 31),

 

"Concevons donc ici que l'âme a son siège principal dans la petite glande qui est au milieu du cerveau, d'où elle rayonne en tout le reste du corps par l'intermédiaire des esprits, des nerfs et même du sang ... Ajoutons ici que la petite glande qui est le principal siège de l'âme est tellement suspendue entre les cavités qui contiennent ces esprits qu'elle peut être mue par eux en autant de diverses façons qu'il y a de diversité sensible dans les objets ; mais qu'elle peut aussi être diversement mue par l'âme." (cf. article 34),

 

"Car il n’y a en nous qu’une seule âme, et cette âme n’a en soi aucune diversité de partie ; la même qui est sensitive est raisonnable, et tous ses appétits sont des volontés." (cf. article 47),

 

 "Pour moi qui ne reconnais dans le chien aucun esprit, je ne pense pas qu'il y ait rien en lui de semblable aux choses qui appartiennent à l'esprit ... Car encore que l'esprit soit uni à tout le corps, il ne s'en suit pas de là qu'il soit étendu par tout le corps, parce que ce n'est pas le propre de l'esprit d'être étendu, mais seulement de penser ..." (cf. Méditations Métaphysiques -  Cinquième réponse, 359 - 389),

 

"Il n'y a rien de plus clair dans mes Méditations que je rapporte au corps seul la puissance de se nourrir, et non pas à l'esprit ou à cette partie de l'homme qui pense." (cf. Méditations Métaphysiques, Septième réponse, 477),

 

"Il n'y a qu'une seule âme dans l'homme, c'est à dire la raisonnable ; car il ne faut compter pour actions humaines que celles qui dépendent de la raison. A l'égard de la force végétative et motrice du corps à qui on donne le nom d'âme végétative et sensitive dans les plantes et dans les brutes, elle est aussi dans l'homme ; mais elle ne doit pas être appelée en lui âme, parce qu'elle n’est pas le premier principe de ses actions, et elle est d'un tout autre genre que l'âme raisonnable." (cf. Les Passions de l’Âme – Lettre à Regius, mai 1641).

 

Par bonheur désormais, après de longs cheminements intellectuels autorisés par les sciences, et de profondes introspections, nous pouvons différencier nettement l’esprit de l’âme et ce, bien que tous deux aient un statut transcendant et intemporel

 

Ainsi, selon nous,

à l’instar du corps qui est le réceptacle (l’enveloppe) des cellules, elles-mêmes fruits d’activités biologiques (biophysiques),

l’âme est le réceptacle abstrait, purement théorique et conventionnel, des activités d’ordre transcendant qui nous caractérisent.

En d’autres termes, le réceptacle théorique des activités transcendantes qui permettent d’être ce que nous sommes, peut être assimilé à une identité spirituelle communément dénommée âme.

L’âme est dès lors une identité virtuelle de caractère analogique.

 

Quant au "lieu d’être" (au royaume) de cette identité spirituelle, de cette âme, curieusement, il demeure inconnu des scientifiques, des philosophes et des théologiens ; c’est pourquoi nous l’avons spécifié par un vocable original : spacimplicatio (contraction des mots latins spatium et implicatio).

Il s’agit d’un domaine différent du banal espace,

un au-delà du réel, intemporel et transcendant, par le biais duquel, de toute éternité, une entité créatrice de caractère divin s’implique dans le monde,

un au-delà dont le domaine de l’abstraction est l’expression singulière.

 

Il est vrai, admettre l’implication permanente dans le monde d’un pouvoir transcendant (divin) et ce, par l’intermédiaire d’un domaine de transcendance différent de l’espace qui contient le réel, conduit à rejeter nombre de "vérités d’époques et de cultures" transmises de générations en générations et parfois, élevées au rang de dogme.

 

Nous ne sommes plus à l’époque où l’on croyait, avec la plus grande assurance, que les idées qui, depuis toujours, ont été reconnues vraies par tous, ne peuvent être que vraies (quod ab omnibus, quod ubique, quod semper).

L’entendement du monde conduit aujourd’hui à d’autres vérités !

En outre, face à l’imbrication des connaissances, une très grande ouverture d’esprit et une extrême rigueur sémantique s’imposent.

 

Reprenons, par exemple, les propos de J. Maritain à Jean Paul II :

"Dans la chair et les os de l'homme, il y a une âme qui est un esprit et qui vaut plus que l'univers tout entier" (cf. œuvres complètes de Jacques et Raïssa Maritain - tome VII).

 

Non, l’âme n’est pas un esprit.

L'âme, l’identité spirituelle, est le réceptacle d’activités de l’esprit,

l’âme, l’identité spirituelle n’est pas dans la chair mais à la fois distante de la chair et impliquée dans la chair, nuances de taille !

 

Les théologiens monothéistes continueront-ils à taire le "Divin" qui s’implique en l’homme, en tout être et dans le monde, considérant, à tort, que l’univers est régi par des lois et des principes ?

Face à l’humanité en attente de réponses crédibles quant au fondement et au réalisme de notre vie spirituelle, rejetteront-ils, longtemps encore, l’universalisme pressenti par nos illustres maîtres Platon, Aristote et Plotin qui inspirèrent les premiers pères de la chrétienté ?,

pour "camper" sur la tradition biblique,

une tradition qui bien que reconnue révélée, ne fit jamais référence au caractère dual de notre état d’être.

 

Or la vie spirituelle, de par les activités d’ordre transcendant qui la caractérisent, n’exprime-t-elle pas ce qui nous unit de manière permanente, à Dieu ?

 

Mais alors, étant les fruits de l’implication du Divin,

certains caractères de l’identité spirituelle, de l’âme, ne perdurent-ils pas après la mort, transfigurés dans l’intemporel, transfigurés dans l’éternité ?

Nous en sommes convaincus.

 

*

 

Hélas, les théologiens ont toujours été fort silencieux à propos de la vie spirituelle sur terre, voire muets quant à  l’identité spirituelle.

Or et nous ne le répèterons jamais assez,

le corps est certes une structure biophysique, donc mortelle,

mais le domaine de l’abstraction atteste d’une vie transcendante dont nous pouvons prendre conscience,

ne serait-ce que parce que dans le domaine de l’abstraction cohabitent dans l’éternel présent du moment (de l’instant), les expériences du passé et les anticipations,

et que nos comportements présupposent la prise en compte permanente de durées, de représentations virtuelles cérébrales du monde, de concepts, d’idées, …, de pressentiments et de sentiments.

 

Les religions ne conduisent donc pas à la vie spirituelle (transcendante) car celle-ci est la composante essentielle de notre être, en revanche les religions permettent de l’exprimer.

A vrai dire, désormais, de nombreuses sciences révèlent des faits d’ordre transcendant et l’implication du Divin dans le monde. 

Malheureusement, les scientifiques dans leur grande majorité, bien qu’ouverts à de nombreuses et souvent changeantes théories, demeurent marqués par une éducation qui les incitent à rejeter toute implication d’un ordre transcendant dans le réel, convaincus que l’univers est régi par des lois et des principes.

Dans une recherche des causes primordiales, il convient de s’extraire de cet a priori car les lois et les principes ne sont pas des opérateurs qui peuvent reconnaître, juger, choisir,…, et décider.

 

Nous devons également relativiser les discours philosophiques qui n’ont pas innové à propos de l’état de conscience, du néant, du temps, de l’intemporel, de l’éternité et de l’infini ; d’ailleurs, de nombreuses réflexions de grands esprits, pertinentes à leur époque, sont pour le moins, à reconsidérer ; citons :

 

"De ces deux infinis des sciences, celui de grandeur est bien plus sensible (impressionnant), et c’est pourquoi il est arrivé à peu de personnes de prétendre connaître toutes choses. « Je vais parler de tout » disait Démocrite.

Mais l’infinité en petitesse est bien moins visible. Les philosophes ont bien plutôt prétendu d’y arriver, et c’est là où tous ont achoppé. C’est ce qui a donné lieu à ces titres si ordinaires, Des principes et des choses, Des principes de la philosophie

Mais comme c’est nous qui surpassons les petites choses, nous nous croyons plus capables de les posséder, et cependant il ne faut pas moins de capacité pour aller jusqu’au néant que jusqu’au "tout"

Enfin les choses extrêmes sont pour nous comme si elles n’étaient point et nous ne sommes point à leur égard ; elles nous échappent ou nous à elles.

Voilà notre état véritable. C’est ce qui nous rend incapables de savoir certainement et d’ignorer absolument. Nous voguons sur un milieu vaste, toujours incertains et flottants, poussés d’un bout vers l’autre …

Ne cherchons donc point d’assurance et de fermeté ; notre raison est toujours déçue par l’inconstance des apparences ; rien ne peut fixer le fini entre les deux infinis qui l’enferment et le fuient …" (cf. Blaise Pascal - Pensées, Fragment 185).

 

Il convient en effet de reconsidérer ce texte car bien que les choses extrêmes nous échappent, même avec de puissants moyens technologiques, nous savons cependant que le néant compris au sens strict du mot, n’existe pas et que l’infinitude de l’infiniment grand est inexorablement liée à celle de l’infiniment petit ; plus précisément, l’infiniment grand est formé d’infiniment petites particules émergeant d’un domaine sans structure (sans dimension, indifférencié, unitaire) : l’énergie universelle.

Nous savons aussi que nous évoluons dans un monde où le "sens" est omniprésent, un cybermonde fruit d’incessantes créations et de continuelles destructions, en constantes interactions.

Qu’en est-il dès lors de l’entité d’ordre transcendant  qui, de toute éternité, conduit cette dynamique évolutive ?,

de cette entité créatrice qui bien que de caractère divin, s’avère non omnipotente et conduit ainsi à postuler, par nécessité, une omnipotence dont nous ne savons rien : Dieu.

 

Nietzsche :

 

"N'avez-vous pas entendu parler de cet homme fou qui, en plein jour, allumait une lanterne et se mettait à courir sur la place publique en criant sans cesse : « Je cherche Dieu ! Je cherche Dieu ! »  Comme ils se trouvaient là, chez beaucoup de ceux qui ne croient pas en Dieu son cri provoqua une grande hilarité. A-t-il donc été perdu ? disait l'un. S'est-il égaré comme un enfant ? demandait l'autre. Ou bien s'est-il caché ? A-t-il peur de nous ? S'est-il embarqué ? A-t-il émigré ?, ainsi criaient et riaient-ils pêle-mêle. Le fou sauta au milieu d'eux et les transperça de son regard. « Où est allé Dieu ? s'écria-t-il, je veux vous le dire ! Nous l'avons tué, vous et moi ! Nous tous, nous sommes ses assassins ! Mais comment avons-nous fait cela ? Comment avons-nous pu vider la mer ? Qui nous a donné l'éponge pour effacer l'horizon ? Qu'avons-nous fait lorsque nous avons détaché cette terre de la chaîne de son soleil ? Où la conduisent maintenant ses mouvements ? Où la conduisent nos mouvements ? Loin de tous les soleils ? Ne tombons-nous pas sans cesse ? En avant, en arrière, de côté, de tous les côtés ? Y a-t-il encore un en haut et un en bas ? N'errons-nous pas comme à travers un néant infini ? Le vide ne nous poursuit-il pas de son haleine ? Ne fait-il pas plus froid ? Ne voyez-vous pas sans cesse venir la nuit, plus de nuit ? Ne faut-il pas allumer les lanternes avant midi ? N'entendons-nous rien encore du bruit des fossoyeurs qui enterrent Dieu ? Ne sentons-nous rien encore de la décomposition divine ?, les dieux, eux aussi, se décomposent ! Dieu est mort ! Dieu reste mort ! Et c'est nous qui l'avons tué ! Comment nous consolerons-nous, nous, les meurtriers des meurtriers ? Ce que le monde a possédé jusqu'à présent de plus sacré et de plus puissant a perdu son sang sous notre couteau, qui effacera de nous ce sang ? Avec quelle eau pourrons-nous nous purifier ? Quelles expiations, quels jeux sacrés serons-nous forcés d'inventer ?" (cf. Le gai Savoir – Livre III, 125),

 

approuverait-il notre discours, lui qui cherchait désespérément ce Dieu en battant sa coulpe ?

Nous pouvons le penser puisque désormais, les sciences, en particulier la biologie, sont les nouveaux jeux sacrés qui permettent de réhabiliter le Divin et Dieu !

 

 

 

Paul  Moyne

http://www.paulmoyne.com