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Jean Bouchart d'Orval     notre vraie nature est liberté



Notre vraie nature est liberté, joie, dynamisme et tranquillité. Si cela ne nous est pas évident maintenant, c'est que nous sommes encore hypnotisés par notre petit monde virtuel. Ce que nous appelons distraitement « notre vie » n'est pas la vie profonde : c'est un amoncellement colossal d'images statiques qui se réfèrent toutes à une autre image, celle d'un quelconque soi-même. Telle est l'existence fabriquée et automatique dont nous nous sommes contentés.

Dans un regard humble et désencombré, l’Éternel s’avance, car il est lui-même ce Regard. L’existence n’est alors plus réduite à une sordide lutte pour arriver à un but ; elle s’offre plutôt comme le parterre du regard et la récréation des cœurs.

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Il y a environ 2 500 ans, retentit en Grèce un étrange appel: «Il convient de dire et de penser qu'il y a l'Être.» Durant les vingt-cinq siècles qui ont suivi, notre regard sur le réel ne s'est guère imprégné de la lumière aurorale jetée par Parménide sur l'Occident. Notre façon nonchalante et un peu ennuyée de considérer tout ce qui se présente à notre attention nous a plutôt portés à dire et à penser: il y a le corps, l'objet, l'émotion, la pensée, et surtout le «je». Nous nous sommes arrêtés au comment de l'Être et nous avons négligé l'essentiel: il y a l'Être.

Remonter au Tohu-bohu

Il y a l'Être. Les formes assumées par l'Être c'est encore l'Être, mais notre regard blasé et distrait les tient pour autre, pour là-bas, pour hier ou demain. Quand ce qui est perçu semble être autre chose, là-bas, plus tard, non-moi, c'est que le regard a trébuché dans la structure apparente de l'Être au point de la tenir pour une réalité séparée, comme si les vagues étaient autre chose que l'eau elle-même.

L'être humain est fondamentalement très curieux; il n'y a qu'à observer les enfants pour s'en convaincre. Mais l'adulte s'ennuie terriblement depuis que sa mémoire lui suggère qu'il connaît tout ce qu'il perçoit et qu'il la croit. Or, nous ne connaissons pas du tout ce que nous croyons connaître; il est tant de revivifier notre curiosité! Méditer n'implique pas une brisure avec notre vie antérieure; il s'agit simplement de mener jusqu'au bout ce que nous avons entrepris avec tant d'enthousiasme dès le début: connaître ce qui est.

La méditation est le discernement du réel, la maturité du regard qui ne se contente plus du paraître mais pénètre plutôt le cœur de la réalité. C'est examiner ce qui est vrai. Vrai signifie permanent, qui n'est pas en devenir. Apprendre à regarder, tout est là. Cela peut sembler simple à dire, mais ce n'est vraiment pas banal. On laisse le regard se poser; on ne le dirige pas. Méditer, ce n'est pas prier, ce n'est pas visualiser, ce n'est pas penser; ce n'est pas le contraire de tout cela non plus. La nature radicale de la méditation tient à ce qu'il ne s'agit pas d'une activité. D'ailleurs, il n'y a personne qui médite; sinon c'est encore de l'activité mentale. C'est là la simplicité et la difficulté de cette non-activité.

Dans la pause recueillie, on commence à laisser le regard se délester de ses entraves. On ne souffle pas les réponses, on ne lui suggère pas ce qu'il devrait voir. Il n'y a pas de but. En méditation, on n'est tenu à rien, même pas de méditer. L'attention sereine et sans but permet de percer les voiles du paraître. Pour cela, elle doit d'abord se poser et cesser de sauter fébrilement d'un objet à l'autre.

Lorsque notre attention se pose sur un objet matériel ou mental, la perception de la vérité de l'objet est habituellement voilée par sa forme, par son nom et par tous les concepts, toutes les formes et tous les phénomènes qui y sont associés. Peu à peu, devant l'insistance du regard méditatif, l'attention purgée demeure engagée avec la réalité même de l'objet. Quand la méditation s'écoule en un flot ininterrompu, celui-ci semble avoir perdu sa forme propre et reposer dans son état intrinsèque. La vérité de l'objet resplendit alors en toute clarté. C'est comme l'eau de l'iceberg qui réalise soudain qu'elle est eau et que «iceberg» n'est qu'un concept pour décrire sa forme temporairement assumée.

Toute distance entre le sujet et l'objet s'abolit et se résorbe dans la vérité. Un sentiment de joie profonde mais sans cause peut alors submerger la conscience, car l'absence de division est sérénité. Encore plus profond, un sentiment de pure qualité d'existence peut s'imposer comme la forme la plus intime du réel. Toutefois, ces sentiments demeurent encore des états qui accompagnent le discernement du réel. Ces états n'ont rien de mondain ou banal, mais ils sont encore «quelque chose», avec un commencement, un milieu et une fin. Au-delà de tout cela, la connaissance est alinga. Ce mot sanskrit signifie sans forme particulière, sans signe distinctif, vide de tout ce qui peut être distingué. Alinga, c'est l'Espace lui-même, qu'on ne peut appréhender, car il est l'unique Réalité.

«Au commencement, Dieu créa le ciel et la terre. Or la terre était vague et vide, les ténèbres couvraient l'abîme, l'esprit de Dieu planait sur les eaux.» La Genèse nous relate ainsi le tohu-bohu originel. Tohu et bohu ont été traduits de l'hébreux par «vague et vide» mais signifient en fait la même chose que alinga. Profondément, le tohu-bohu originel n'est pas un événement historique de l'espace-temps; c'est ce qui imprègne l'espace-temps lui-même, ses formes et ses phénomènes. C'est pour cela que rechercher «l'origine» de l'univers dans un commencement historique porte à sourire autant qu'attendre un «salut» dans un quelconque dénouement eschatologique. Il n'y a qu'à examiner ce qui est réel ici et maintenant. Jésus disait: «Connais Celui qui est devant ton visage et ce qui t'est caché te sera dévoilé .»

Le regard radicalement humble et persistant du méditant s'ouvre sur l'Espace sans forme, qui est la seule réalité de toute perception. Séjourner dans le dépouillement absolu du Réel produit une impression mentale qui, si elle prend suffisamment d'ampleur, désamorce l'illusion tenace perpétuée par toutes les autres impressions mentales laissées par les perceptions toujours inachevées du passé. Notre regard inassouvi s'était auparavant toujours contenté d'un compromis; il s'était satisfait d'une représentation quelconque, d'une structure de la connaissance. L'illusion créée était la croyance en la réalité de ceci ou de cela, en tant qu'objets pouvant être discernés ou saisis par le «sujet». Quelle est donc l'unique réalité de tous les personnages et de tous les événements du rêve, sinon la conscience du Grand Rêveur, du Grand Vivant? Une transformation profonde s'opère alors, car il ne s'agit plus du remplacement d'un ensemble de conditionnements par d'autres conditionnements, ou de la rencontre épuisante et stérile entre deux conditionnements, tel que mis de l'avant par les religions moralisantes; c'est en réalité la cessation des conditionnements. Nous en venons à ne plus percevoir, penser, agir et réagir selon les anciens réflexes tributaires d'une vision courte, mesquine et irréaliste de ce que nous sommes. La perception, la pensée et l'action deviennent aussi profondes, larges et généreuses que la Vie elle-même.

Lorsque même l'impression mentale laissée par la méditation profonde ne fait plus l'objet d'une prétention quelconque, lorsque le silence et l'activité mentale sont reçus comme l'Unique et que la forme et le sans-forme sont reconnus comme le Même, alors toute semence d'illusion a été éradiquée. Les mots éveil ou libération sont parfois suggérés pour décrire cela. Mais personne ne s'est éveillé, personne ne s'est libéré. Pourquoi? Parce qu'il n'y a jamais eu personne endormi ou asservi; en fait, il n'y a jamais eu personne. Il n'est même plus question ici d'existence ou de non-existence, de perception ou de non-perception, de forme ou de sans-forme. Toutes ces catégories appartiennent encore au monde de la mesure et rien, absolument rien, ne saurait toiser Cela dont on ne peut que dire qu'Il n'est rien d'autre que Lui-même.

La salle de bal du Titanic

Mais alors que s'installe ce regard désencombré, une apparence de paradoxe se profile. Après avoir été touchés par le pressentiment du Fond, sans que ce pressentiment ne se soit actualisé totalement dans la vie de tous les jours, nous nous sentons appelés par une voie, ou par la voie. Tout ce qu'un être humain accomplit consciemment en se référant au silence profond de sa nature véritable, sachant que cela ne peut qu'en permettre l'épanouissement total dans sa vie, nous pouvons le nommer «la pratique».

Le regard méditatif ne peut parvenir à maturité si l'on demeure engagé dans des activités qui dissipent constamment son temps, son énergie et son attention. C'est la raison pour laquelle les chercheurs se sont traditionnellement quelque peu retirés du «monde». Il ne s'agit ni d'une question morale ni d'une position sociale, mais plutôt d'une approche pratique. On conçoit sans peine qu'un chercheur scientifique agisse de la sorte, vue l'intensité de sa recherche. Or, l'intensité n'est certes pas moindre dans le cas d'une recherche «spirituelle»! Si nous le voulons vraiment, nous disposons du temps et de l'énergie pour entreprendre un examen profond de «ce qui est».

Le paradoxe de la pratique spirituelle, c'est qu'il n'y a rien à faire! Ce qu'on recherche précède et alimente la recherche. Le propre du regard spirituel est de ne pas rechercher quoi que ce soit de matériel, de mental ou même de «spirituel». Dès qu'on cherche quelque chose, c'est le connu qu'on tente de reproduire; le connu qui n'est qu'apparence du réel. Voilà pourquoi la Tradition insiste sur «l'abandon», sur le «détachement», qui sont en fait de l'équanimité. Ce n'est pas qu'on ne doive rien faire; c'est simplement qu'on cesse de personnaliser les efforts. À un moment, un certain parfum nous envahit et nous n'avons alors plus d'autre choix que de nous engager toujours plus profondément dans l'exploration de l'espace d'où émane ce parfum. Mais il n'y a personne qui s'engage sur un chemin, personne qui recevra une récompense. Sinon, on aura beau lire les textes les plus inspirés, courir les gurus à la mode, accumuler de la connaissance, s'entasser dans un ashram pendant des mois ou des années, on demeurera toujours engagé dans les activités du rêve.

Soyons précis: aucun être humain ne peut entreprendre cette recherche sans porter en lui le désir intense de voir toute souffrance s'éteindre. Au départ, il y a toujours sujet, intention, but, direction, chemin. Mais si l'on a par la suite la chance de recevoir une information juste, alors une détente s'installe et le sujet-intention s'estompe, tout comme l'allumette disparaît dans le feu qu'elle a servi à allumer. C'est quand on maintient l'idée de sujet, avec son but, son idéal, ses obstacles, ses techniques, ses écoles, ses autorités et ses systèmes, que le paradoxe devient réel et s'enracine, parfois jusqu'au ridicule. Pourquoi sacrifier tant de temps et déployer tant d'efforts à réarranger le mobilier de la grande salle de bal du Titanic, qui est en train de sombrer?

L'équanimité est un regard non personnel, non duel. Le sage Patanjali nous dit, dans ses Sutras sur le Yoga: «L'équanimité est l'état de conscience triomphant de celui qui s'est affranchi des buts dans ce monde et dans l'autre». Voilà l'essence de la vision non duelle. Quand on tente d'appréhender l'Être à partir du devenir, c'est-à-dire en se prenant pour quelqu'un, avec tout ce que cela comporte, l'Être en tant qu'Être se retire.

Le messianisme bien connu de notre religion judéo-chrétienne est un exemple caricatural de l'approche dualiste et progressive. L'individu est enjoint de croire en une série d'articles de foi et d'accomplir ou de s'abstenir d'accomplir certains actes, afin de recevoir sa récompense d'un Dieu juste et bon. Comme les récompenses et les punitions sont distribuées après cette vie terrestre à laquelle de toute évidence le corps ne survit pas, c'est «l'âme» qui doit se présenter devant le Juge pour toucher le prix ou recevoir la punition. Cette vision progressive de l'existence est sûrement utile pour faire respecter la loi et l'ordre, mais elle contribue à maintenir l'asservissement de l'être humain. On l'a transmise de génération en génération, sans trop savoir ce qu'est l'individu, le corps, l'âme, ou Dieu. L'être humain est terriblement inquiet de la possibilité de ne plus être en existence un jour et c'est pour cela qu'il a inventé tous ces concepts.

Pourquoi s'inquiéter? L'eau de l'iceberg ne disparaît pas quand il fond! Il n'y a que Pur Regard et tout le reste ce sont ses formes. Nous sommes ce Regard, il n'y a que ce Regard. Comment peut-il alors y avoir un but? Où aller? Quel chemin emprunter? Qui pourrait bien l'emprunter?

La discipline véritable ne consiste pas en cette sorte de violence envers soi-même qu'on imagine parfois; elle n'est pas le fruit d'une volonté individuelle. Il n'y a pas de volonté individuelle. La discipline consiste en une clarté de la vision. Quand on voit clairement le précipice, l'éviter n'exige aucun «effort individuel»! Dans l'approche progressive l'individu essaie de modifier son comportement afin d'arriver à la liberté. Dans l'approche non duelle, il n'y a pas d'individu; il n'y a que le silence, ou l'espace, qui s'actualise de plus en plus à travers cette forme fugace qu'on appelle un être humain. Ici, c'est le silence lumineux qui modifie éventuellement le comportement d'un être humain, sans intention. On peut dire que ce qui, selon une vision progressive, ressemble à des efforts en vue d'arriver à un résultat, prend plutôt l'allure, selon une vision non duelle, d'un rite de célébration du silence. Un silence qui est à lui-même sa propre récompense. Le silence éclaire tout, car il réside tant en amont qu'en aval de la «pratique»; comment pourrait-il ne pas donner le ton à cette «pratique»?

La mémoire s'emmêle

Au début de notre séjour sur terre, nous ne savons rien à rien. Tout baigne dans une ouate un peu confuse: notre regard ne discerne pas, notre mémoire est plutôt vide. Nos yeux ne distinguent pas encore les formes physiques; durant leurs premiers jours opérationnels, ils ne perçoivent que de la lumière. Mais bientôt des contours apparaissent, que la mémoire apprend vite à reconnaître. Nous commençons à distinguer. Ainsi en est-il avec tous les instruments de perception, qui se fixent sur la différence, le changement. L'œil détecte avant tout le mouvement par rapport à l'arrière-plan statique. Notre oreille perçoit aisément un nouveau son ou sa cessation, plus qu'elle n'enregistre un son ou un silence continu. Il en va ainsi de tous nos sens. Notre attention distingue d'abord et avant tout la différence, la forme qui se démarque de l'arrière-plan.

Le système nerveux, qui est essentiellement mémoire, se remplit des traces laissées par les expériences. Nous commençons à connaître «le monde» et cette connaissance s'installe en nous en se structurant. Nous apprenons à distinguer les gens les uns des autres, surtout le «je»; nous commençons à former des catégories et à classifier. À mesure que notre mémoire se charge, nous vivons davantage en nous fiant à elle pour penser, agir et réagir. Des expériences scientifiques ont mis en relief l'activité prodigieuse de la mémoire lors de la perception visuelle, réelle ou imaginée. Le cerveau recherche constamment dans ses filières le nom, les concepts, les qualités ainsi que les autres formes et expériences passées associées à l'objet ou au phénomène perçu. La mémoire mêle à la perception ses schémas et ses représentations du réel. Ce processus insidieux nous fait croire en la réalité de la structure de notre connaissance, c'est-à-dire en la réalité des formes perçues et du sujet qui les perçoit en tant qu'entités séparées. C'est ça l'idolâtrie.

Nous sommes alors fiers d'être devenus quelqu'un, sans trop réaliser que ce quelqu'un n'est rien d'autre qu'une masse de conditionnements, un magma d'impressions mentales accumulées. Il ne sort plus guère que du réchauffé de notre cerveau. Ce n'est plus un cerveau, c'est un four micro-onde.

La mémoire, érigée par accumulation, finit par donner le ton et dicter la suite des événements. Nous ne vivons alors plus qu'au niveau de la représentation et, à travers chaque perception, chaque pensée, chaque désir et chaque émotion, nous tenons pour acquise la dualité sujet/objet. L'identification au sujet nous livre en pâture au jeu à la longue lassant de l'attraction et de la répulsion, des désirs et des regrets, du plaisir et de la souffrance.

Ce mécanisme se réactive chaque matin. Le sommeil profond ne donne prise à aucune structure, aucune identification, ni à aucun problème. Que se passe-t-il pour qu'en quelques instants tout change? Qu'est-ce qui fait que nous nous remettons soudain à calculer et à nous inquiéter? Qu'est-ce qui s'éveille ainsi? C'est évidemment la mémoire, qui réactive tous ses programmes dans le cerveau. On peut dire, sans craindre le jeu de mot, que c'est la personne-alitée qui se réactive… Existe-t-il une façon de vivre qui ne soit ni la confusion de l'état de veille ni l'anesthésie générale du sommeil profond? Est-il possible de connaître le comment de l'existence sans perdre de vue son quoi? C'est ainsi qu'est posée la question méditative.

Méditer comme Cela...

Méditer ce n'est pas appliquer une technique. Mais quand on se sent enclin à accepter l'invitation de la méditation, il y a un certain savoir-vivre à respecter afin de ne pas effaroucher son hôte. La «technique» de méditation peut être vue comme un simple savoir-vivre, comme un rituel de célébration du silence.


Il convient de se rappeler encore qu'il n'y a personne qui médite. C'est la méditation qui médite. «Si le Seigneur ne garde la cité, c'est en vain que veille la sentinelle», chante le psaume. La tendance habituelle de l'être humain est de s'approprier la vie, le souffle, la pensée, le désir, l'émotion, l'expérience et même… l'appropriation. Méditer c'est avoir confiance dans ce que nous sommes (l'Être) et cesser de tout nous approprier au nom de ce que nous ne sommes pas (l'individu).

On adopte généralement une position assise confortable. La verticalité du corps favorise la véritable verticalité, celle de l'Être. Il n'est pas nécessaire de s'asseoir par terre les jambes croisées, bien que cela représente la meilleure assise possible. On peut s'asseoir directement dans le silence et il n'y a alors plus rien à ajouter. Ce qui suit concerne les occasions où ce silence n'est pas évident.

On commence à examiner, avec autant de curiosité et d'intensité que le savant dans son laboratoire: c'est la passion du vrai. Afin de mieux voir, on ferme les yeux. Un certain état méditatif est certes possible les yeux ouverts, mais éventuellement les yeux se ferment dès qu'une certaine profondeur est atteinte. On laisse l'attention se promener un moment dans le corps. On note les endroits tendus, sans essayer de les détendre. On vérifie si on ne tient pas quelque partie du corps. Les sensations corporelles peuvent être de belles occasions d'attention et on peut arriver à percevoir le corps comme espace, ce qui est sa nature profonde.

On peut aussi laisser son attention se poser sur le souffle. On n'essaie pas de le modifier. Il n'y a qu'une veille étonnée et respectueuse. On observe l'inspiration, le repos, l'expiration, le repos. Dans le repos, particulièrement après l'expiration, un espace de non-respiration se fait sentir. Cet espace est aussi celui de la non-pensée, du non-désir. On note cet espace, tout simplement, sans essayer de le qualifier ou de le prolonger. On se donne entièrement à l'écoute de cet espace. Après un certain temps, il semblera peut-être qu'il demeure toujours présent à l'arrière-plan. Il n'y a que le silence et les formes qu'il assume: la respiration, les pensées, les sensations, les émotions, etc. La respiration perd de plus en plus son caractère compulsif, qui est toujours lié à l'idée d'être une personne. Il y a un abandon du souffle, qui n'est finalement qu'une occasion d'être attentif à l'espace.

Cette occasion peut aussi prendre la forme d'un mantra. En tant que forme sonore qu'on répète, il n'est qu'une formule pour célébrer avec Parménide: «Il y a l'Être». Le mantra convient particulièrement lorsque le mental est très actif. Mais fondamentalement, méditer ce n'est pas marmonner un mantra. Le plus important dans la méditation, ce n'est ni la posture, ni le mantra, ni la respiration, ni les pensées, c'est plutôt Cela qui médite. L'attention se porte donc sur Cela. Le corps est perçu comme Cela, le mantra est perçu comme Cela, la respiration comme Cela, le silence comme Cela, les pensées comme Cela, les désirs et les émotions comme Cela, l'ennui comme Cela, la joie comme Cela. Voilà, c'est comme Cela qu'on médite.

La non-violence suprême

Il n'existe alors pas de véritable dérangement, car les dérangements sont aussi Cela qui médite. Les pensées, on les laisse venir, on les laisse aller. Essayer de les suivre c'est dissiper l'attention. Essayer de les réprimer c'est une forme de violence qui ne mène à rien. On traite les pensées comme un gaz. On ne peut arrêter le mouvement des molécules d'un gaz en le comprimant; au contraire, le gaz s'échauffe alors et les molécules deviennent encore plus agitées. Que fait-on? On lui donne de l'espace, tout l'espace. Le gaz en expansion voit le mouvement de ses molécules s'atténuer naturellement, sans violence. En physique, on parle de la détente d'un gaz. En méditation, la détente mentale consiste à offrir aux pensées tout l'espace, à les reconnaître comme Pur Espace. C'est la non-violence suprême.

L'attention méditative n'est pas une concentration où toute autre forme que celle qu'on a élue est exclue et chassée hors du champ de conscience. Elle est inclusive: le Même accueille toute perception comme un nouveau surgissement du Même. Les pensées récurrentes dénotent un état émotif non résolu. Cela aussi on l'accueille. C'est uniquement dans cette ouverture que l'émotion peut éventuellement perdre son caractère dramatique et se résorber. Mais on n'accueille pas dans l'espoir qu'elle va se résorber. Dans l'attention méditative, il n'y a aucun calcul, car il n'y a personne qui médite.

Pur regard

C'est ainsi que le regard arrive à maturité. En fin de compte, il faut en arriver à oublier ce qui ressemble à des éléments techniques dans la méditation. Quand on sent l'invitation du sommeil profond, on se dépouille de ses vêtements, on se met au lit et on ferme les yeux. Que fait-on à ce moment précis? On ne dort pas, on fait semblant de dormir. Et le sommeil vient de lui-même, sans être mis en demeure de se produire. De même, quand on sent l'invitation à méditer, on se dépouille de ses prétentions, on s'assied les yeux fermés et on fait semblant de méditer; soudain la méditation est là.

La vision non duelle n'est pas un jeu pour quelques privilégiés. C'est notre héritage à tous. L'extinction de la souffrance passe par cette reconnaissance directe de « ce qui est ». Cela implique la capacité de n'être que regard sans intention, sans explication. Cette puissance d'attention permet d'accueillir sereinement les émotions, les désirs et les pensées en psalmodiant «Il y a l'Être». Toutes ces modifications du Regard sont accueillies dans leur nature véritable, qui brille alors en toute clarté: Pur Regard. C'est dans ce désencombrement total que souffle le vent de la silencieuse paix du ravissement resplendissant.

Site d'origine : http://www.omalpha.com/regard.html


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