Fiches cinéma et philosophie   

Chaos    de Colline Serreau


Notion : société, autrui

 

Sur l'état des relations dans la postmodernité

 

Le chaos est un monde de désordre, où manque l'harmonie et l'ordre. Un monde dont la destinée serait présidée par l'ordre est l'harmonie serait un cosmos. Qui répand le chaos? L'esprit humain hagard, confuse, désordonné. Où? Dans la société. Le monde postmoderne est un monde chaotique, édifié par des individus qui ne savent pas générer de l'harmonie, parce que leur fonctionnement est totalement égocentrique. Egomaniaque ce père qui ne vit que dans son travail et se contrefiche éperdument de sa femme et de son fils. Qui laisse sa mère à l'hôtel attendre un coup de fil pour ne la voir que quelque minutes au café un mois après. Egomaniaque ce fils qui ne pense qu'a draguer ou à paresser au lit, ignorant complètement sa mère et son père, ces filles qui se disputent un garçon pour en avoir l'exclusivité. En résumé : des ego imbus d'eux-mêmes, ne vivant que ans la séparation et le conflit, incapable d'aimer. D’ailleurs une tirade le dit : « l’amour tu sais, cela n’existe que dans les magazines ». Dans ce monde, il n’y a que des individus qui fonctionnent et n’ont pas même le temps de vivre, qui fonctionnent dans un stress constant, dans un aveuglement constant. Un monde futile et violent. Inhumain.

Cette nuit là donc, nos deux personnages principaux (Catherine Frott et Vincent Lindon), rentrent tard et assistent sous leurs yeux au passage à tabac d'une fille, Noémie. Paul ne veut pas d'histoire, il ne veut pas être dé-rangé dans son rangement égotique. Il ferme les portières, contre l'avis de sa femme. Quand il demande des kleenex ce n'est pas pour la jeune femme en sang, c'est pour nettoyer le pare-brise maculé de sang. Son principal souci, c'est de rester "clean", d'aller laver la voiture et d'effacer toutes les traces. Qu'importe le refus d'assistance à personne en danger. La prostituée n'existe pas dans son esprit. Il n'y a que le dérangement. C'est un homme tellement occupé, il ne va tout de même pas se laisser déranger pour une prostituée qui se fait tabasser.  Catherine elle n'en dort plus. Elle va voir Noémie à l'hôpital, elle va la suivre dans toute sa convalescence. Elle ne sait pas pourquoi elle fait cela, mais elle se sent reliée à elle, et elle se met à exister pour elle et on plus seulement pour elle-même. La tension monte  : les profiteurs n'ont plus de bonne pour faire la cuisine et le repassage et ils se plaignent. Le chaos de leurs petites vie les submerge peu à peu : tension relationnelle, saccage de l'appartement du fils. L'histoire de Noémie est déroulée, racontée dans toute son horreur : la drogue, la prostitution, les sévices corporels d'un objet sexuel, d'un objet entre les mains de souteneurs qui s'en servent pour soutirer de l'argent. Calvaire d'une petit algérienne vendue par son père et qui s'enfuit pour tomber sous la coupe d'un réseau de prostitution. Noter au passage que la seconde famille n'est pas meilleure que la première, encore des individus égocentriques au possible et là encore toujours pas d'amour, si ce n'est la sœur de Noémie.  Le tour de force du film sera donc de nous placer brutalement devant toute cette laideur pour que nous puissions la regarder bien en face. Même les policiers en prendront pour leur grade "après tout ce n'est qu'une prostituée". C'est une gifle cinglante que le spectateur reçoit car il est forcé de regarder cette médiocrité droit dans les yeux.

    La rédemption passera par la justice : démolir le réseau clandestin. Mais il faudra aussi rappeler Vincent auprès de sa mère, il faudra mettre de l'amour là où il n'y en avait plus. La dernière image de la mamie est très touchante. L'amour de la mère. Sur le banc, le monde sauvé par des femmes. L'harmonie réinventée par le cœur. Qu'on ne s'y trompe pas, ce film est d'avantage qu'un satire sociale, c'est un éloge de la générosité, un appel à l'amour. Mettre en lumière façon aussi crue le fonctionnement du moi est assez puissant. Rien n'y résiste des manigances imbéciles de l'ego. C'est une purification par le voir, un exercice de lucidité, mais ce qui est admirable avec Coline Serreau, c'est que cela ne tombe jamais dans le cynisme désabusé. Saine révolte contre ce qui est pourri, mais révolte qui est un passage obligé vers une reconstruction intérieur et une reconstruction sociale. Ce monde postmoderne là, comme chaos, va de lui-même vers sa destruction, le monde vrai lui est à inventer et à inventer maintenant dans une relation au monde humaine et généreuse.

     Maintenant, regardons tout cela clairement: Quel écho éveille ce film en nous? Est-ce que nous reconnaissons les attitudes caractéristiques, les personnages? Avons nous été sensible à toute cette confusion, ou est-ce l'intellect qui a voulu gloser sur le film, pour juger, critiquer? Est-ce critiquer ici pour argumenter? Qui veut argumenter dans pareil cas? Pourquoi? Et puis, argumenter pour recouvrir quoi? Toutes ces questions méritent d'être posées pour voir clair dans ce monde qui est le nôtre, ce monde qui est le reflet de ce que nous sommes

 © Philosophie et spiritualité, 2002, Serge Carfantan.

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