Fiches cinéma et philosophie   

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La vie est belle

Sur le thème de l’illusion

    Guido illustre le personnage qui n’est présent dans ce monde que comme un prestidigitateur, pour qui le principe de réalité est remplacé par un principe de jeu et d’illusion. Il est le bouffon d’une farce qui n’existe que pour lui, car autour, c’est la réalité sordide d’une Italie dont la mentalité est contaminée par les thèses racistes et vendue à l’Allemagne nazie.

    Le film est construit d’une manière étonnante, une première partie lyrique, joyeuse, bouffonne qui laisse une grande place à l’humour et à la dérision, et une seconde partie qui se situe dans l’enfer des camps de concentration, sans que l’illusionniste ait changé. C’est toujours Claudio et sa légèreté, au milieu de l’horreur indicible.

    Dans la première partie, la relation de Guido avec celle qui va devenir sa femme est toute empreinte de magie. Tout arrive selon des coïncidences extraordinaires. Claudio, c’est un peu comme le chat botté, celui qui est capable de tout changer avec magie. Il est léger, il est pur et sans attache dans le monde réel, il est sa passion, la joie de vivre, il ne veut pas croire au sérieux La vie est belledes doctrines de la " race supérieure ". Quand son fils est là, il va tout faire pour lui montrer que l’on peut, avec un peu de sens du jeu, voir que " la vie est belle " contre toute apparence qui nous prouverait le contraire. L’enfant est crédule, il marche, mais en même temps, dans le camp de concentration, il revient face au père en lui rappelant la réalité. Mais comme Claudio fanfaronne et lui promet de gagner au jeu, il se laisse prendre. Ce qui est magnifique, c’est qu’à la fin, il aura le char d’assaut qui était promis, quand les américains débarquent et libère le camp. Au fond, cela veut dire, " laisser vous prendre à l’illusion, mettez vous seulement à croire dans la vie, dans la joie et à la fin, vous aurez raison de l’avoir fait ". L’illusion est ici une protection pour l’enfant, elle dissimule la laideur, la brutalité ignoble, elle fait voir seulement l’aspect rieur de la vie, la moquerie amusée devant tout les événements.

    Nous pourrions dire que le père a menti. L’enfant pourra lui en vouloir de lui avoir caché la vérité. Le père va mourir comme un chien, d’une rafale de mitraillette, dans un fossé du camp. Le bouffon disparaît, mais sans renoncer à son rôle pour protéger son enfant de l’horreur. Le pathétique est là, comment un être innocent peut il mériter cela. C’est la victoire de l’ordure, contre l’art : c’est révoltant, écœurant. Mais c’est aussi la beauté d’un don de soi. Guido n’était qu’un pantin, un clown, mais il a sauvé son fils. Le pantin est jeté, le clown est exécuté, mais il a plus de grandeur que celui qui le tue. La leçon, c’est que la Vie doit garder une légèreté spirituelle, surtout au milieu du grouillement de l’immonde. Avoir les pieds sur terre, être réaliste, c’est une formule qui a sa valeur, mais dans un monde violent et stupide, ce n’est pas un atout, cela ne sauve personne. Voilà une illustration d'un problème philosophique classique : en quoi l'illusion peut-elle être protectrice? au question : faut-il détruire toutes les illusions? 

    Si l'illusion a parfois une valeur, ce doit être celle d'un manteau qui recouvre une vie encore fragile, une vie qui est encore trop faible pour affronter lucidement la complexité de ce qui est dans tous ses aspects. Si l'illusion a ici une valeur c'est pour nous rappeler aussi qu'après tout, le sérieux absolu que nous prêtons aux événements ne tient qu'à notre regard, il ne tient pas aux choses-mêmes. Il y a des mendiants en Inde qui gardent leur sourire, leur dignité et leur fierté d'être humain, sans être écrasé par des conditions matérielles misérables. Est-ce illusion que cette fierté, ce sourire au milieu de la misère? 

    Et si le théâtre de la vie était lui-même un jeu? Et si nous étions là pour jouer ce jeu? quand on reste à même la réalité triviale, la vie semble tragique. Dès que l'on prend un recul esthétique, la même tragédie devient une comédie! C'est ce que soutenait Schopenhauer.

© Philosophie et spiritualité, 2002, Serge Carfantan.