Fiches cinéma et philosophie   

Pleasant ville


    Notion: imagination, art

    Sur la dualité entre imaginaire et réel

Woody Allen nous avait montré dans La Rose pourpre du Caire, un personnage de cinéma en noir et blanc sortant de l'écran et venant à la rencontre d'une femme dans la salle obscure. Toute l'histoire tournait autour de cette intrusion de l'imaginaire dans le réel, entre le gris du personnage de et la couleur du monde dans lequel il entre. Dans Pleasant ville ce thème est exploré de manière assez systématique. Bud est un fan d'un vieux feuilleton noir et blanc qui se situe dans une ville imaginaire pleasant ville. Il connaît à fond tous les personnages, les épisodes. Sa vie quotidienne est ordinaire, celle d'un adolescent confronté à une famille où sa mère souffre de son divorce, celle d'un adolescent un peu renfermé qui a du mal à entrer en contact avec les filles. Passe un jour chez lui, juste au moment d'une dispute avec sa soeur, Marie Sue, un soit-disant dépanneur de télévision, qui est en fait une sorte de magicien. Il lui offre une télécommande un peu spéciale dont l'action va être de le précipiter dans le feuilleton noir et blanc Pleasant ville, pour y vivre la vie d'un des personnages. 

     1) On a donc d'un côté le monde réel, avec ses couleurs, ses contrastes, ses difficultés, sa violence même et de l'autre, le monde imaginaire, pleasant ville, un monde parfait. A pleasant ville tous les visages tous les visages sont souriants, les enfants sont gentils, travaillent bien à l'école. La maman du héros fait très bien la cuisine. Le père, lui aussi bien sûr idéal, arrive le soir avec toujours la même formule "chérie, je suis là" et trouve son repas prêt. Au basket, que l'on envoie la balle n'importe comment, elle atterrit toujours dans le panier. Il fait toujours beau, tout le monde est "plaisant". Cet imaginaire est un monde complètement figé dans sa perfection, un monde où rien ne change, ou le mal n'existe pas. Les pompiers ne font que descendre des chats des arbres, il n'y a jamais de feu. Ce monde figé est bien de la couleur dont il est représenté : il est gris, il est sans vie, cette vie qui est la couleur des choses. Ici le temps n'existe pas, mais un équivalent de l'éternité : un scénario immuable qui meut chacun des personnages, un destin écrit sous la main de celui qui a pensé le script.

   2) Que va-t-il se passer si, dans ce monde idéal s'introduit du réel? L'irruption du héros et de sa soeur au milieu de ce monde va d'abord être une surprise de la découverte, puis elle va introduire le changement et avec le changement quelque chose de la vie. Sur le terrain de basquet c'est une étrangeté : quelqu'un va rater un panier! La vie contient des erreurs, un peu d'erreur dans ce monde figé et c'est un peu de réalité qui s'immisce. Marie sue ose poser une question pour demande "qu'est-ce qu'il y a au-delà de pleasant ville, mais cet imaginaire est fermé et limité au scénario. Pour les personnage, il n'y a pas l'infini, l'illimité. La question est un choc pour eux. Le réel est infini dans toutes les directions. Dépasser la vision limitée de l'imagination, c'est déjà rejoindre le réel.

     Ce ne sont pas des être humains qui vivent là, ce sont des personnages. Il sont entièrement définis par le rôle dans un scénario, il n'existe pas en dehors. La mère du héros ne sait pas ce qu'est l'amour. Dans le film elle ne fait que la cuisine. Dans le restaurant de hamburger où travaille Bud, son collègue n'est que celui qui prépare les sandwichs. Il n'est que cela. Il a sa routine et il n'existe pas autrement. Notre héros va sans le faire exprès le déstabiliser profondément en ne faisant pas ce qu'il fait d'habitude (fermer la devanture du magasin, ranger la caisse). Si le personnage était heureux dans sa routine fixe, le moindre changement va introduire une angoisse. Le cuisinier du restaurant, M. Johnson,  cependant traverse la crise très bien : "hier soir, ce n'était plus comme d'habitude, mais tu n'étais pas là et j'ai réussi à le faire. C'était très chouette". Pour la première fois de sa vie, il connaît le changement réel, la nouveauté de l'instant, l'imprévisible, lui qui était enfermé dans le déroulement mécanique d'un film. C'est le Temps qui gouverne le monde de la vie et avec la Durée concrète est donnée la création : création de soi par soi et transformation de ce qui est. Notre cuisinier va fair etout ele parcourt depuis le statut d'un personnage vers une Personne : il prend conscience de la Durée à travers la nouveauté constante du changement, il accède à l'autonomie, puis à la perception de la vie dans la différence (la scène du livre d'art) et l'amour, et devient créateur lui-même (peintre).

     De son coté Marie Sue fait des bêtises : elle drague un garçon et l'entraîne à l'allée des amoureux. Dans la série télé, les amoureux se contentaient de "se donner la main", mais là une fille et un garçon ont des relations sexuelles. Ce n'est plus dans l'ordre "politiquement correct" ou "normal" de la série. Ce n'est plus un monde  idéal. La perfection grise de pleasant ville se fissure de tous côtés. Voilà que la couleur commence à se manifester sur quelques visages, des fleurs apparaissent, ce qui ne va qu'empirer tout le long. pleasant ville est en train de déchoir de sa perfection statique et de prendre vie. Ce qui est remarquable c'est que la couleur s'allume partout à partir de l'éveil du coeur des personnages. C'est la connexion avec le feu intérieur de la vie des sentiments qui va petit à petit colorer ce monde. Ceux qui résistent sont soit les irréductibles de l'immobilisme (le maire). Le Maire veut maintenir l'Ordre du passé : il vote la ségrégation sociale, l'interdiction de la couleur, l'autodafé des livres : il essaye d'introduire la dualité entre les bons (les gris) et les mauvais (les colorés). Or cette dualité engendre la violence.

     Il y a ceux qui sont prisonniers de leur personnage : Marie sue se demande pourquoi, malgré ses débauches, elle n'est pas colorée comme tout le monde, comme son amant dans le film. Quand la sincérité du coeur fait communiquer l'intérieur et l'extérieur, le passage de la Vie irrigue de couleur. C'est une révélation intérieure qui fait changer le personnage ne personne. Nous pourrions dire aussi une affirmation d'un aspect refoulé de la personnalité. Il est caractéristique de remarquer qu'à la fin, la soeur choisit de rester encore dans le film : elle a changé, elle n'est plus une gamine qui ne songeait qu'à sortir, elle vient de découvrir la beauté de l'étude. 

      3) Bud  décide de revenir, mais il ne fait avec un nouveau regard, car bien sûr sa mère souffre de la séparation, bien sûr il y a des difficultés dans la vie ; mais justement, c'est cela la Vie : des contrastes forts. Il n'y a pas de vie dans un idéal figé. La vraie vie est là même où je suis, elle n'est pas ailleurs dans un monde figé : pPeasant ville, un monde figé est un monde mort. Il n'y a pas de refuge dans un ailleurs idéal, ce serait fuir dans la mort. La Vie se donne à elle-même avec ses couleurs, ses défis constants, ce pouvoir de changement et de nouveauté dans l'instant là où nous sommes. 

      Par conséquent, il faut même secouer cette hébétude qui nous a fait aimer le film : ce n'est encore que de l'imaginaire, ce n'est que du cinéma et par définition, le cinéma, c'est de la représentation imaginaire, ce n'est pas ma vie cette vie ci, ici et maintenant. Tout les films sont par essence des "pleasant ville", même si certains sont plutôt des cauchemars que des rêves. D'un rêve on s'éveille et c'est l'éveil qui nous rend la Vie.

       Remarquons bien des similitudes avec l'allégorie de la Caverne : le monde gris pourrait être la projection d'ombres que contemplent les prisonniers, le monde extérieur le réel, l'initiation passe par l'art, il y a la délivrance et du fin du fin, le retour de Bud, devenu bien plus sage!!

Rédaction avec la participation de toute une classe de TL en particulier : Xavier Dubos, Maud Dartier, Yohann Lichtlin, Magali Toursel, Alice Mahieu, Marion Boquenet, Camille Dutertre, Marie Darribère, Laure Leroy, Gaëlle Darengosse, Caroline Biais, Marie Pierre Merle, Audrey Wolff.

  © Philosophie et spiritualité, 2002, Serge Carfantan.


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