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François de Closet    l'illusion économique


    "Grâce à la quantification monétaire, l'économiste dispose d'un étalon universel pour représenter et mesurer tout ce qu'il approche. La représentation est donnée par un équivalent financier, la mesure par les lois du marché échangiste. Les choses sont des prix. Il devient possible d'établir des relations causales entre des objets très divers, d'additionner des fraises, des automobiles, des actes chirurgicaux et des œuvres d'art.

    Cette modélisation sur laquelle toute l'économie comporte plusieurs caractéristiques qui en limitent la portée.

    Elle donne une vision purement abstraire de l'activité humaine. Car les comptes n'apprennent rien sur la nature des richesses créées. Le bilan d'une entreprise qui produit du napalm et celui d'une entreprise qui produit des antibiotiques sont rigoureusement les mêmes.

     Elle limite la réalité aux transactions onéreuses. Les choses n'existent que pour autant qu'elles sont achetées. Dans une société capitaliste, de nombreux éléments, et de la plus grande importance, n'ont pas de prix, et, par conséquent, pas d'existence économique.

     Elle évalue les produits et les services au prix fixé par les lois de l'offre et de la demande. La valeur marchande ainsi définie ne représente pas l'utilité sociale, mais la demande solvable, ce qui est bien différent dans une société inégalitaire.

    Enfin l'économie limite son champ d'action aux actes qui se situent entre la production et l'achat. Ce qu'il advient du produit après l'achat n'intéresse pas l'économiste. C'est une espèce de dégradation qu'on appelle la consommation. Mais en réalité, c'est à ce moment là que commence la vraie vie, celle de l'homme avec son objet. il importe donc de savoir ce que le consommateur tire de sa consommation.

    En dépit de ces limites - ou grâce à elles- les modèles économiques ont une clarté et une cohérence qu'on ne retrouve pas dans les autres sciences humaines. Ils constituent la seule image lisible de notre monde dissocié et deviennent des masques qui se plaquent sur son visage. Les gouvernements délibèrent leur action dans le miroir déformant de l'activité marchande, ils retiennent ce qu'ils y trouvent, ignorent ce qui n'y figure pas, choisissent les solutions en fonction des bilans comptables. La société se réduit progressivement à son système de production.

    C'est ainsi que l'extrême commodité des méthodes économiques conduit à confondre ses modèles avec la réalité sociale. On oublie que l'économie ne retient qu'un aspect de la société et qu'elle en donne une description purement abstraite".

     Le Bonheur en plus, Denoël, Paris, 1974, p. 219-220.

Texte proposé par Lauriane Jammeau


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