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Henri Irénée Marrou La connaissance historique est un acte de foi


     - Nous touchons ici à l'essence même de la connaissance historique : quand elle porte à plein sur son objet, c'est-à-dire sur toute la richesse de la nature humaine, elle n'est pas susceptible de cette accumulation de probabilités qui, théoriquement, pourrait conduire à une quasi-certitude; elle repose en définitive sur un acte de foi : nous connaissons du passé ce que nous croyons vrai de ce que nous avons compris de ce que les documents en ont conservé.

     Il n'y a pas lieu de s'en scandaliser : c'est encore un fait et notre philosophie critique n'a qu'à le reconnaître (le philosophe recherche la nature des choses et, l'ayant trouvée, s'en réjouit, laÉtatur inventor, car l'être est toujours, en tant qu'il est, supérieur au non-être : le contact avec le réel, si rugueux qu'il soit, vaut mieux que de caresser une chimère.

     Constater que la connaissance historique est issue d'un acte de foi (car «faire confiance» et «avoir la foi», c'est tout un, comme le montrent bien le grec et le latin, pisteuô, credo) n'est pas pour autant nier sa vérité, nier qu'elle puisse être susceptible de vérité. Encore une fois, prenons garde de ne pas confondre rigueur et roideur d'esprit : c'est une fausse rigueur que de réduire le rationnel à l'apodictique, que de restreindre la possession de la vérité aux seules conquêtes de la déduction more geometrico et de la vérification expérimentale des hypothèses de l'induction; recherche pusillanime de la sécurité : de peur de se tromper, on réduit la raison à l'impuissance. De fait, une philosophie authentique, soucieuse de ne rien laisser échapper, sera la première à constater le rôle, légitime, nécessaire, que joue dans la vie de l'homme la connaissance par la foi : je suis frappé d'entendre; à quinze siècles de distance, la voix de Karl Jaspers, faire écho à la réflexion si juste de saint Augustin qui, ayant nettement dégagé le rôle de la foi en histoire, montre qu'elle réapparaît dans bien d'autres domaines de la connaissance, si bien que si on refusait d'y faire appel, l'action, la vie même seraient rendues impossibles, omnino in hac vita nihil ageremus. Et il est bien vrai que l'homme, et le philosophe lui-même, si rationnel qu'il soit et qu'il se veuille, ne cesse d'avoir recours à la foi et cela aussi bien dans le comportement le plus banal de la vie quotidienne que dans l'exercice le plus rigoureux de la pensée pure.

De la connaissance historique, p.128-129.


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