Marie-Laure Susini  le criminel pervers


     Le criminel pervers est d’emblée en rapport avec un public. Dès son premier crime, le regard du public est sur lui. Son crime prend la signification d’un spectacle. Le criminel désire secrètement ou explicitement être démasqué, car son « œuvre » doit être révélée au public. Le criminel offre au public un fétiche : le corps de la jeune fille, qui symbolise et signifie la virginité. C’est une forme de sacrifice. Le fait que Fourniret ait demandé que le procès ait lieu à huis clos n’est pas une objection : c’est une stratégie pour accroître son audience. De la même manière, un autre criminel célèbre, Henri Landru, avait refusé d’avouer pendant deux ans, tenant ainsi la une des médias pendant toute cette durée. Le procès lui-même se présente comme un spectacle : Landru faisait rire avec des mots d’esprit, on allait à son procès comme au spectacle, et il arrivait escorté de ses nombreuses amantes qui faisaient l’éloge de ses prouesses sexuelles ; au procès Fourniret, c’est le président qui fait rire ; un juge tombe malade, le jury pleure : il se trouve en situation de public et non de jury ; et on assiste au spectacle de la torture des parents des victimes. Le procès est donc à la fois le moment de la gloire (ambiguë : entre horreur et fascination, entre l’indignation et une jouissance obscène et cruelle) et le moment du retour dans la loi. Fourniret : « Je ne demande pas mieux que ma tête tombe sur le billot en public. » Landru disait : « Je regrette de n’avoir qu’une tête à offrir. » Un autre patient rêvait régulièrement d’être guillotiné sous le regard de son père (symbole de la loi). Maintenant qu’il n’y a plus de condamnation à mort, cela laisse le criminel pervers quelque peu frustré. Fourniret se plaignait auprès de la loi d’avoir eu une mère incestueuse. C’est un souvenir écran, c’est-à-dire un souvenir construit par le malade pour masquer un traumatisme : cela ne prouve pas que sa mère ait réellement été incestueuse. Par réaction à cette jouissance abusive (réelle ou imaginée) de la mère, le criminel tente d’introduire la signification du manque dans l’autre, il essaie de faire en sorte qu’il manque quelque chose à la mère. Il cherche à soustraire, à arracher physiquement l’objet du désir (devenu fétiche) sur le corps même de l’autre (torture, blessure, viol, meurtre). Ainsi il rétablit (ou croit rétablir) la loi auprès de sa mère incestueuse. Landru se présente lui-même comme un auxiliaire de la loi. Il prétend à sa maîtresse qu’il travaille tous les jours à la préfecture de police. Il laisse derrière lui calepins et matériel pour que l’on puisse reconstituer ses crimes un par un. Il est une figure légale, une sorte de bourreau qui agit au nom de la loi : une mère ne doit pas être incestueuse, il faut rétablir la loi des hommes. Au XVIIIe siècle, à une époque très cultivée et raffinée, on louait des places très cher pour assister aux tortures et exécutions publiques. Le geste du criminel pervers est analogue au geste du bourreau. On a réussi à renoncer au spectacle du bourreau, arrivera-t-on à renoncer au spectacle du criminel pervers ? Celui-ci n’est rien d’autre que la figure du bourreau qui triomphe sous forme de vedette.

émission du 24 avril 2008 sur France culture

 Indications de lecture:

cf.


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