Il ne semble pas exagéré d'assurer que l'inconscient existe de toute
éternité. Il paraît être à la fois la totalité du visible et de
l'invisible. Il dépasse le pensable. Et la possibilité que nous avons
d'en appréhender quelques parcelles répond, en fait, aux quelques
octaves de pensée qui nous sont accordées.
L'inconscient n'est pas cependant ce qui par nature ne peut se définir,
ainsi qu'il m'a été donné de l'entendre dire par certains
psychanalystes arrivés au stade ultime réservé à la caste de ceux qui
ont le droit exclusif de s'enfoncer inconditionnellement dans les
arcanes de l'âme humaine. Si complexe qu'il soit, l'inconscient n'est
pas aussi difficile à découvrir qu'on voudrait le prétendre . Il est
même ce qu'il y a lieu de décrypter durant le cursus humain, toute
aventure existentielle n'étant et ne devant être justifiée que par
cette démarche.
C'est à Freud, sans aucun doute, que l'on doit d'avoir mis, de façon
magistrale, l'accent sur cette dimension. Il parvint, après ses
contacts avec Charcot, Bernheim et Brener, à mettre en évidence le fait
que la verbalisation d'un trouble permettait de débloquer le symptôme.
Avec une particulière perspicacité, il sut tirer de cette approche
toute la théorie psychanalytique. Je dirai volontiers qu'il sut faire
de cette conception mouvante, un ensemble qui, par lui remanié,
perfectionné, bâti intelligemment au jour le jour dans une perspective
analytico-synthétique approfondie, rappelle ce que tout israélite vit
depuis quelques millénaires. Car la culture juive est celle qui baigne
depuis des temps immémoriaux dans une dialectique avec son inconscient,
à la recherche d'un éclairage, d'une illumination, d'une révélation,
d'une Conscience en fait, d'un territoire où tout ésotérisme disparaît,
dans lequel tout s'éclaire, tout se découvre. L'aventure biblique, au
cours de l'Ancien Testament, n'est que le reflet de cette longue et
souterraine tribulation, induite, inspirée, attirée par cette
irrésistible présence, si curieusement ignorée et cependant si
fiévreusement pressentie. Cette présence qui, au cours des siècles, a
successivement bénéficié des éclairages de la conscience et subi les
méfaits d'un obscurantisme plus ou moins sévère.
(…)
L’introduction au principe d'inconscient était en fait réalisée,
lorsque Freud le mit en pratique sur un plan clinique. Il n'innova pas
au sens réel du terme mais il sut l'explorer avec la richesse et la
finesse d'observation qu'on lui connaît. Pensait-il qu'il utilisait le
mot sous sa forme adjective pour définir l'acte inconscient, voulant
par là présumer qu'il s'agissait d'un acte n'ayant à aucun moment
mobilisé la conscience de celui qui le pratiquait ? Et lorsqu'il
étendra le concept jusqu'à l'inconscient - substantif - évoquera-t-il
un état siégeant in (dans) la conscience ou in (privatif) sans
conscience ? On connaît les dangers de l'interprétation que savent en
faire certains spécialistes lorsqu'ils prétendent libérer
l'inconscient. Dans de tels cas, il n'y a qu'un pas à franchir pour
introduire une philosophie sans conscience ni morale.
Dans l'état actuel des choses, on se trouve affronté à diverses
interprétations de l'inconscient. Sans doute la multiplicité et la
variété des points de vue des membres du groupe des «psy» prouve-t-elle
la difficulté où l'on se trouve d'expliquer un phénomène qui, par son
évidence et sa complexité défie toutes les investigations.
Nous allons proposer un schéma qui, sous l'angle d'une simplification
poussée à l'extrême, nous donnera déjà un aperçu des différentes
approches.
Freud vient en tête sans conteste, instaurant une dialectique interne
entre un magma fluctuant, vaste, abyssal et un moi périphérique en
quelque sorte, souvent structuré par un mode éducationnel.
Laforgue ajoute un cercle concentrique complémentaire en y associant
l'inconscient familial. Ce dernier existe certes chez Freud mais déjà
durci par/et en la coque de surmoi qui réalise la première enveloppe de
la personnalité.
Grâce à Jung, la notion d'inconscient s'étend au niveau du collectif et
dépasse largement ce qu'avait envisagé Freud fixé plus catégoriquement
par sa culture dans une dimension égocentrée. L'influence
excentri-jungienne plus propre à la philosophie de l'inconscient telle
que Carl Gustav Carus et von Hermann l'envisageaient, révèle son
intérêt culturel pour toutes les recherches qui touchent de près ou de
loin au génie humain. Son extrapolation jusqu'à la mémoire archétypale
ne nous rappelle-t-elle pas les réminiscences karmiques si propres à la
pensée indienne?
Il nous a été donné l'occasion à maintes reprises de limiter cette
réelle mémoire archétypale aux réminiscences du cheminement
infra-utérin vécu d'une façon si identique chez tous les êtres humains
prenant naissance au sein de leur mère. Il nous semble nécessaire de
réétudier toute la symbolique en fonction de cette dimension. Nous
l'avons déjà évoquée au sujet du test de l'arbre, du mythe de la
caverne, etc...
Quel est donc alors notre concept de l'inconscient et de la conscience
au travers d'une pratique clinique s'étalant sur plus de vingt ans ?
Tout d'abord, il nous semble évident qu'il n'y a pas d'antagonisme
entre la conscience et l'inconscient. Nous nous rallions en cela à deux
auteurs qui prétendent qu'il n'y a aucune opposition de fait. Cependant
bien des conceptions font de ces deux propositions deux univers
entièrement autonomes. Dans certains cas, l'un se situe par rapport à
l'autre avec une ligne de flottaison entre les deux souvent par trop
imprécise. Pour quelques-uns le mal est le siège de l'inconscient
tandis que le bien représente le domaine de la conscience... Que de
crimes n'auront-ils pas été commis sciemment au cours des siècles sous
prétexte d'une idéologie se rattachant plus ou moins à une éthique
consciemment perçue?
Pour couper court à ces balancements, ces rapprochements, ces
divergences, nous dirons que l'inconscient et la conscience sont une
seule et même représentation conceptuelle. Leur différence réside dans
le fait que l'on plonge en ce qui concerne la conscience, dans une
réalité de mieux en mieux perçue, de mieux en mieux «vue». La
conscience est ce «savoir avec» ou ce «voir avec» qui ne prend tout son
sens qu'au travers d'une dénomination, d'une mise en forme verbale
permettant d'en assurer la diffusion parmi les hommes. Cette
communicabilité doit se faire d'une façon universellement formulée,
au-delà même de la langue et des barrières que celle-ci construit,
au-delà même de l'expression mathématique qui, on le sait, peut résumer
sous forme d'abstraction la formulation la plus complexe.
Il n'y a aucune différence entre conscience et inconscient. Mais il
s'établit un dialogue interne, véritable dialectique, dans un but de
progression pour la découverte de ce qui Est.
Revue Française de yoga, n° 13 (Ancienne
édition), été 1983, pp. 3-17.