"Le travail ... constitue surtout
le but même de la vie, tel que Dieu l'a fixé. Le verset de saint Paul :
"Si quelqu'un ne veut pas travailler, qu'il ne mange pas non plus" vaut
pour chacun, et sans restriction. La répugnance au travail est le symptôme
d'une absence de la grâce...
La richesse elle-même ne libère pas de ces prescriptions. Le possédant,
lui non plus, ne doit pas manger sans travailler, car même s'il ne lui est
pas nécessaire de travailler pour couvrir ses besoins, le commandement
divin n'en subsiste pas moins, et il doit lui obéir au même titre que le
pauvre. Car la divine providence a prévu pour chacun sans exception un
métier qu'il doit reconnaître et auquel il doit se consacrer. Et ce métier
ne constitue pas... un destin auquel on doit se soumettre et se résigner,
mais un commandement que Dieu fait à l'individu de travailler à la gloire
divine.
Partant, le bon chrétien doit répondre à cet
appel : si Dieu vous désigne tel chemin dans lequel vous puissiez
légalement gagner plus que dans tel autre (cela sans dommage pour votre
âme ni pour celle d'autrui) et que vous refusiez le plus profitable
pour choisir le chemin qui l'est le moins, vous contrecarrez
l'une des fins de votre vocation, vous refusez de vous faire l'intendant
de Dieu et d'accepter ses dons, et de les employer à son service
s'il vient à l'exiger.
Pour résumer ce que nous avons dit jusqu'à présent, l'ascétisme
protestant, agissant à l'intérieur du monde, s'opposa avec une grand
efficacité à la jouissance spontanée des richesse et frein la
consommation, notamment celle des objets de luxe. en revanche, il eut
pour effet psychologique de débarrasser des inhibitions de
l'éthique traditionaliste le désir d'acquérir. Il a rompu les
chaînes qui entravaient pareille tendance à acquérir, non seulement en la
légalisant, mais aussi .. en la considérant comme directement voulue par
Dieu...
Plus important encore, l'évaluation religieuse du
travail sans relâche, continu, systématique, dans une profession
séculière, comme moyen ascétique le plus élevé et à la fois preuve la plus
sûre, la plus évidente de régénération et de foi authentique, a pu
constituer le plus puissant levier qui se puisse imaginer de l'expansion
de cette conception de la vie que nous avons appelée, ici, l'esprit du
capitalisme.
L'Ethique protestante et l'esprit du Capitalisme, trad. J. Chavy,
Plon, 1964, p. 208-236.