Commentaires philosophiques

 

Merleau-Ponty  nature et culture


Texte avec notes

«Il n'est pas plus naturel[1] ou pas moins conventionnel[2] de crier dans la colère[3] ou d’embrasser[4] dans l'amour que d'appeler table[5] une table. Les sentiments[6] et les conduites passionnelles[7] sont inventés[8] comme les mots[9]. Même ceux qui, comme la paternité[10], paraissent inscrits dans le corps humain[11] sont en réalité des institutions[12]. 

         Il est impossible de superposer[13] chez l'homme une première couche de comportements que l'on appellerait "naturels" et un monde « culturel » ou spirituel[14] et fabriqué[15]. Tout est fabriqué et tout est naturel chez l’homme comme on voudra dire, en ce sens qu'il n'est pas un mot, pas une conduite qui ne doive quelque chose à l'être simplement biologique, et qui en même temps ne se dérobe à la simplicité[16] de la  vie animale, ne détourne de leur sens[17] les conduites vitales,  par une sorte d'échappement et par un génie de l'équivoque[18] qui pourrait  servir à définir l'homme.»

Problématique

  Comment situer l’homme entre nature et culture ? Il est facile de raisonner dans une dualité tranchée, ou bien il est purement naturel, ou il est purement culturel. Dire que l’homme est un être naturel, c’est admettre que ce qui le caractérise dans sa pensée, son comportement, ses sentiment, est inné, spontané. C’est alors croire qu’il existe une nature commune à tous les hommes et que tout ce que peut faire la société, c’est de la développer, comme si c’était une graine se développant d’elle-même. Or l’anthropologie structurale de Lévi-Strauss montre clairement que tout ce que nous croyons naturel est en fait le fruit d’une éducation, de coutumes, comme aussi d’une histoire. D’autre part, la linguistique structurale de Saussure a aussi montré que le langage est fondé sur l’arbitraire du signe et qu’il est en fait le résultat d’une convention culturelle. Force est donc de penser que contrairement à ce que nous pensons, l’homme serait bien plus un être de culture, un être purement fabriqué et artificiel. Un auteur contemporain a pu dire : la nature de l’homme, c’est l’artifice ! L’enfant sauvage se révèle petit animal et non humain : il n’a rien appris, donc il n’est pas encore un homme, car l’humanité,  cela s’apprend.

C’est dans ce débat que Merleau-Ponty fait une mise au point. Il est assez stérile de vouloir faire une division entre d’un côté ce qui serait naturel (cf. l’homme naturel selon Rousseau)  et de l’autre,  ce qui serait culturel (Sartre l’homme comme invention arbitraire, Lévi-Strauss

 l’homme comme type culturel donné). C’est une question de point de vue et non de fait. Dans la réalité humaine,  il a toujours cette équivoque. Le naturel et le culturel, non sont que deux manière de prendre en main une même cruche, par une anse, ou par l’autre. Si on regarde l’homme avec les yeux du biologiste, on trouve un fondement  biologique naturel d’un comportement (cf. l’amour et l’excitation des hormones sexuelles !!), si on regarde l’homme avec l’interprétation de l’anthropologue on est frappé par la diversité culturelle et on est alors amené à dire que tout est culturel dans l’homme.

L’intérêt du texte de Merleau-Ponty est donc  de renvoyer dos à dos les débats scolaire fondés sur la dualité naturel/culturel, il faut prendre l’homme comme un tout. L’homme issu de la Nature,   sans aucun doute, mais il est en même temps façonné par la culture et c’est cette complexité qui fait toute la richesse de l’humain.

Le texte pourtant argumente plus du côté de l’artifice que du naturel. Il était intéressant en commentaire de voire en prolongement en quoi l’idée d’une nature humaine conserve tout de même un sens. On a beau faire, l’homme fait partie de la Nature. Il n’y a pas de coupure entre nature et culture. D’ailleurs, dans un article, Lévi-Strauss a lui-même fait cette mise au point.



[1] Qui provient de la nature. Les besoins de dormir, de manger etc. sont dit naturel, tandis que les désirs tels que celui d’un bijou qui nous rattachent à une relation à autrui sont culturel. Naturel est souvent confondu avec inné, culturel confondu avec acquis. L’homme, selon Levi-Strauss est entièrement repris en charge par la culture qu’il a reçu, il a une existence plus culturelle que naturelle.

[2] Ce qui est conventionnel, c’est ce qui dépend d’un choix convenu entre les hommes. Ici on peut penser par exemple que le fait de secouer la main pour dire bonjour est tout à fait conventionnel dans la culture occidentale (ce n’est pas le cas ailleurs), ce n’est pas naturel. Dons en fait ici le mot conventionnel ne se comprend que comme culturel, au sens où la culture est de l’ordre de normes conventionnelle dans une civilisation donnée.

[3] La colère est une émotion qui surgit quand nous avons une réaction  de contrariété et que nous ne trouvons pas d’autre forme de réaction que la colère. Il est communément entendu que se mettre en colère est naturel. Merleau-Ponty dit que non. C’est aussi quelque chose qui est provoqué par l’esprit et qui est lié à la culture. On dit que l’Italien est impulsif : la colère est quelque chose qui dépend non du corps, mais de la culture reçue.

[4] Le fait d’embrasser dans l’amour est une habitude culturelle occidentale. En orient, on est beaucoup plus pudique, c’est une question de culture. L’’indien qui approche affectueusement ne pense pas à embrasser, il joint les main et s’incline devant l’autre. Cf.  idem au Japon. Nous croyons qu ele baiser est naturel, mais c’est en fait une coutume.

[5] La nomination d’un objet résulte d’une convention. Dans une autre langage ce sera un autre mot. L’auteur est en train de nous dire que pour les comportements, c’est la même chose, ils sont aussi conventionnels que le langage. Il y a un code culturel de relations, comme il y a un code de signe dans la langue.

[6] Là aussi, nous croyons que les sentiment sont innés, l’auteur nous dit qu’il sont largement conditionnés par la culture, par la société dont nous sommes issus. Ce qui nous choque dans notre culture occidentale (manger des chats !) ne choquera pas ailleurs (en Chine). Nous sentiment sont influencés par notre éducation, notre culture. Ils ne sont pas « naturels ».

[7] La passions vient du désir, le désir est très largement culturel, donc, comment la passions pourrait-elle ne pas être dépendante de la culture ?

[8] Au sens de créé par une société qui a ses mythes, ses croyances, ses coutumes, ses traditions. La passion que nous mettons dans les corridas scandalise bien des peuples pour qui ce n’est pas dans leur culture.

[9] Les mots sont inventés, cf la théorie de l’arbitraire du signe selon Saussure.

[10] Exemple typique de conduite que l’on croit naturelle. La paternité a une histoire, on apprend à être père ans le contexte d’une culture. Au XVIIIème siècle, la paternité n’avait pas le sens qu’elle a aujourd’hui et d’un pays à l’autre le statut du père est très très différent. Ce n’est pas naturel, c’est culturel. L’exemple de la maternité est encore plus flagrant, voir  les textes des féministes sur le sujet.

[11] Définition caractéristique de l’instinct et de l’hérédité. Cf le langage de l’abeille est héréditaire. L’homme lui n’existe qu’à travers un héritage culturel et non par hérédité biologique.

[12] Toujours cette opposition à ce qui est naturel, ce qui est institué l’a été par l’homme et s’est mis en place dans l’histoire.

[13] Il est impossible de répartir strictement entre un niveau naturel en l’homme et un niveau qui serait culturel. Tout ce qui est humain participe des deux à la fois. L’opposition nature/culture est fictive. Dormir, cela semble naturel, mais en fait dans chaque culture, ce besoin est géré différemment. Même la position pour dormir est chose qui s’apprend. Et c’est la même chose pour tout ce qui est humain.

[14] Le spirituel, ce qui dépend de l’esprit seul, de la conscience. Se dit particulièrement de ce qui relève du sacré et de la religion.

[15] Au sens d’artificiel. Les conduites sont comme les objets,  artificielles.

[16] Pour l’animal le problème ne se pose pas, il est dit en bloc du côté du naturel, sa vie est instinctive et il n’apprend quasiment rien. D’où ce terme de simplicité qui s’oppose à complexité. La complexité est l’apanage de l’homme.

[17] Même ce qui paraît brutalement animal en l’homme possède un sens très humain. Par exemple, quand l’homme est violent, il ne l’est certainement pas comme l’animal.

[18] Il y a équivoque quand il y a plusieurs sens possible. Le comportement de l’animal est univoque : en bloc il se rattache à la Nature. Tout ce qui est humain peut recevoir plusieurs significations, une explication biologique, une explications sociale, historique, psychologique etc. Le génie de l’équivoque se retrouve dans toute production culturelle (cf une œuvre d’art et sa diversité de sens), et plus encore, dans tout ce qui est humain.

 


 


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