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Un maître cruel et un apprenti bien naïf


Un jeune homme du pays qui rêvait d’être un sage se rendit auprès du maître de sagesse qui séjournait dans les collines. Quand il l’eût trouvé, il implora :

-Maître, enseignez-moi la sagesse. Je souhaite connaître les secrets qui feront de moi un homme puissant et vénérable.

-Soit, dit le maître, mais je ne pense pas que tu sois prêt à recevoir un tel enseignement.

-Je le suis, rétorqua le jeune homme.

-Comment le saurais-tu interrogea le maître ?

-Pour preuve de ma bonne foi, je ferai tout ce que vous m’ordonnerez.

-Soit. Alors coupe toi la main droite.

Le jeune homme revînt le lendemain avec un linge maculé de sang au bout du bras.

-Voilà qui est fait maître.

-Qu’as-tu appris en faisant cela ? , lui demanda le vieil ermite.

-J’ai appris que la main sert à prendre mais qu’elle devrait plus souvent servir à donner et aussi que la douleur peut toujours être dépassée.

-Bien. Dès que tu seras pleinement rétabli, tu devras te couper un pied.

Le jeune apprenti disparu et revînt après quelque temps, une  béquille de bois en main gauche.

-Qu’as-tu appris cette fois ? , s’enquît le maître.

-J’ai appris que se tenir debout est le propre de l’homme et que pour avancer dans l’existence il convient de garder les pieds sur terre.

-Cela est juste dit le maître. Va t’en trouver le bourreau et demandes lui de te t’ôter les parties.

Le disciple, puisqu’il en était un, fit comme son maître l’avait dit et revînt deux semaines plus tard dans les collines.

-Voilà qui est fait maître.

-Alors, qu’as-tu appris ?

-Que les désirs lubriques détournent l’esprit de la voie qui est sienne et qu’avant de songer à la descendance, il vaut bien mieux devenir son propre père.

-Cela aussi est juste. Retournes t’en voir le bourreau et renonces à tes yeux cette fois.

-Une semaine passa avant que l’apprenti ne revînt prêt du maître un bandeau sur les yeux. Comme de coutume, le maître interrogea :

-Qu’as-tu appris en cette occasion ?

-Que les belles choses de ce monde sont promptes à séduire le regard et qu’elles gagnent à être vues de l’intérieur, avec les yeux de l’âme.

Le vieux maître de sagesse passa la main dans sa barbe et après un court silence, il demanda au disciple :

-Si je t’ordonnais de mettre fin à tes jours ici-bas, le ferais-tu ?

-Assurément maître.

-Et selon toi, cela serait-il sage ?

-Chacune de vos paroles est un puits de sagesse maître.

-Alors tu as appris bien des choses mais tu n’es pas prêt d’être sage ! Cela te prendra quelques existences avant d’y parvenir car tu confonds encore l’écume de la sagesse avec la sagesse même ; comme le commun tu t’en remets sans discernement au doigt et à l’œil du maître  sans prendre le temps d’observer par toi-même ni le but, ni la voie qu’ils désignent. Mais assieds-toi donc car tu en sais assez maintenant pour commencer la méditation.

Samuel Letout

L'interprétation intervient à plusieurs niveaux. Pour l'essentiel, le texte indique que la recherche de la sagesse est un acte qui implique l'engagement plein et entier du sujet dans la méditation et qu'elle ne saurait être imposée de façon dogmatique. Le maître est donc cruel mais ici, le disciple est naïf car il n'exerce à aucun moment son discernement. C'est une leçon de mise en garde vis-à-vis de la crédulité. Il faut aussi comprendre qu'en matière de spiritualité, les exigences éthiques demeurent. Un alcoolique et est alcoolique, même si c'est une moine vénéré. La sagesse n'a jamais réclamé l'aveuglement, mais au contraire, la lucidité.


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