Leçon 315.   La subversion du droit       pdf téléchargement     Téléchargement du dossier de la teçon

    

Subversion veut dire retournement dans le contraire. Par exemple, parler de subversion du langage veut dire pointer du doigt les pratiques par lesquelles le langage est falsifié, détourné de sa vocation à porter la vérité dans la communication pour répandre le mensonge et la confusion. Parler de subversion de la morale,  c’est de la même manière pointer les processus par lesquels la morale est retournée de fond en comble, de sorte que son autorité est utilisée pour justifier le vice et la corruption. Et nous pourrions continuer sur la lancée en évoquant la subversion de l’économie, du pouvoir, de l’éducation, de la santé, de la vérité, de la religion etc. D’ailleurs, ce que l’Inde désigne comme l’âge de l’ignorance, le Kali Yuga, l’Age de fer, est précisément marqué par la subversion de toutes les expressions de la vie humaine. On dit qu’alors le dharma se perd, qu’il y a une perte des valeurs support de Vie. Inversement, le Sat Yuga, l’âge de l’illumination, ou l’Age d’or est celui de la restauration du dharma, de la plénitude des valeurs de la Vie. 

Mais que dire du droit ? Si on admet que le droit a pour fonction le maintien de l’ordre social, son contraire se situe dans la promotion du désordre, de la violence et du chaos. La subversion du droit achevée serait un état qui engendrerait la violence civile. C’est insensé. On voit mal comment le droit pourrait produire du chaos. Cependant, il faut quand même y réfléchir un moment. En effet, si le droit devient un moyen de contrôle exercé sur le peuple par la caste dominante par le biais des institutions, il peut servir le désordre, la violence et l’oppression.  Mais le droit n’a de sens que parce qu’il porte l’exigence de justice, il ne peut pas être uniquement la légitimation d’une police et c’est justement le fait d’user du droit pour exercer un pouvoir sur le peuple qui constitue une subversion.

Nous voyons donc que dans ce domaine encore il est tout à fait possible de parler de subversion. Essayons d’être plus clair et plus précis.  En quel sens peut-on parler de subversion du droit ?

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A. Lectures classiques de la subversion du droit

      Nous voyons que le problème nous ramène invariablement à la relation entre le droit et la force, relation qui a été amplement analysée par les auteurs classiques et nous ne sortirons pas dans le cadre de cette analyse. Toute la question revient à préciser les subtilités qui entourent la définition même du droit. En effet, celui qui définit le droit jouit d’un pouvoir immense, car il définit la norme et, par rapport à la norme du droit, tout ce qui est déviant est « tordu ». Ce faisant, la pensée qui nous vient alors immédiatement à l’esprit est que ce qui est tordu doit être redressé.

 1) Implicitement, l’autorité du droit repose en amont sur l’autorité de la morale qui la précède et peut seule le rendre acceptable. La morale dit ce qui est juste et c’est parce que nous pensons que la loi est juste que nous pouvons nous y soumettre de bon gré. Ainsi, partout, la morale vient légitimer la loi… Du moins, elle devrait le faire. Mais, souvenons-nous de Pascal disant : « Il est dangereux de dire au peuple que les lois ne sont pas justes, car il n’y obéit qu’à cause qu’il les croit justes ». Ici Pascal est lecteur de Machiavel. Nous savons en effet que pour Machiavel, il est deux manières de tenir le peuple en respect. La loi et la force. La loi est un moyen qui relève de l’homme, la force relève de la bête, mais dans une situation de révolte et par opportunisme, le pouvoir peut user de la bête quand il ne parvient pas à s’imposer par les voies humaines de la discussion raisonnée.

 Même si nous laissions provisoirement de côté le machiavélisme politique, il reste que nous ne pouvons jamais éliminer le facteur psychologique de « il les croit juste », le facteur de la croyance et penser que la raison seule suffirait. Ce n’est pas vrai. Tout ce que font les êtres humains est déterminé par leurs croyances qui en amont appuient leurs actes. La doxa est persuadée que ce qui préside à l’élaboration de la loi, c’est le bien commun, sa première pensée est donc aussi que l’État veut forcément notre bien. Cependant, elle n’y croit pas spontanément, comme s’il s’agissait d’une intuition, mais parce qu’on lui a dit, par une culture et elle s’y repose ensuite sans plus jamais poser de question. L’État veut notre bien et forcément les lois qu’il promulgue sont pour notre bien. Terminé. Inutile de discuter.

     Pascal dit encore dans les Pensées que le doute sur la loi devrait être corrigé en disant au Peuple que les lois sont supérieures, ainsi on doit y obéir comme on obéit à un supérieur, non pas parce qu’il est juste, mais parce qu’il est supérieur ! Mais attention, là encore le terme « supérieur » ne saurait exister sans la croyance dans la supériorité qui doit le précéder. Résultat étrange, d’un bout à l’autre de la chaîne de nos relations juridiques, il n’y a jamais qu’une fiction. C’est la réalité. Mais elle est très inquiétante. Le pouvoir politique doit s’ingénier à soustraire à la pensée commune l’idée que la loi pourrait relever de l’arbitraire humain, …ce qui est effectivement le cas, pour lui laisser croire qu’elle comporte une nécessité intrinsèque. Magique. Surhumaine. Une sorte de majesté que sais-je ? Une nécessité scientifique équivalente à celle des lois de la Nature. Ou bien, ce qui peut encore davantage remporter l’adhésion, une nécessité religieuse. On pourrait dire aux masses que les lois viennent… directement de Dieu. Tant qu’à faire, quitte à chercher une légitimité, autant viser au plus haut. D’où l’importance des crédos et cette prétention à vouloir légitimer la loi à partir des textes sacrés. Un tour de passe-passe commun dans l’histoire. On peut tordre en tous sens les textes sacrés et leur faire dire ce que l’on veut quand on veut persuader que les décisions arbitraires humaines en sont l’émanation ! Pascal très finement nous fait comprendre qu’en vérité, la loi humaine n’est ni celle de la Nature, ni celle de Dieu. Ce n’est que par l’artifice de la croyance qu’elle peut s’imposer. D’où l’uniforme et le cérémonial de la justice, il faut en imposer pour que la fiction s’imprègne dans les esprits par l’imagination. L’État réassure une fiction qui ne peut que rester une fiction et jamais s’élever au rang d’une loi naturelle ou de la loi divine. Contrairement à ce que les révolutionnaires ont voulu faire croire, la loi humaine n’est pas n’est pas moins contingente que la coutume, elle l’est tout autant.

 

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     © Philosophie et spiritualité, 2023, Serge Carfantan,
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