Leçon 296.  Le pourquoi du narcissisme contemporain         pdf téléchargement     Téléchargement du dossier de la teçon

     Le narcissisme désigne l’amour du moi pour lui-même centré sur son image. Le terme fait référence au mythe grec de Narcisse tombant amoureux de sa propre image. Freud y voyait une étape dans la construction de l’ego dans le développement de la libido. Une étape, cela veut dire un stade qui est voué à être dépassé dans la maturité. On dira alors qu’il faut distinguer le narcissisme qui est une forme extrême de l’égocentrisme, de l’estime de soi qui doit s’équilibrer dans celle d’autrui en autorisant une considération d’autrui désintéressée. Le narcissique semble lui bloqué à un stade infantile dans une autosatisfaction qui devient l’unique ressort de ses motivations. Le narcissique est tellement replié dans la sphère égotique qu’il semble tout à fait normal de ne l’envisager que sur un angle psychologique, à la limite comme un trouble mental aigu. On sait que Freud affectionnait d’interpréter les troubles de la personnalité comme des formes de régression infantile. Par exemple, le fait de sucer son pouce comme un repli vers le comportement de tétée du bébé accroché au sein de sa mère. L’idée est que dans le développement de l’énergie vitale, un stade aurait été mal assumé, obligeant l’individu à régresser à un stade antérieur pour satisfaire en quelque sorte le développement psychique mal assumé.

     Christopher Lasch dans La culture du narcissisme s’est distingué en important le concept de narcissisme de la psychologie vers la sociologie de masse, de même par exemple que le concept d’évolution a été importé depuis la biologie vers la sociologie devenant le « darwinisme social ». Avec les risque et péril de ce genre de transfert. Selon Lasch le narcissisme serait le trait dominant de notre époque, ou pour être plus précis dans nos analyses, le trait le plus saillant de la postmodernité.

La question devient donc pour nous : En quoi le narcissisme est-il une clé d’interprétation valide pour comprendre nos mentalités contemporaines ?  Faut-il, comme le prétend Lasch, le distinguer de l’égocentrisme pour y repérer une forme de radicalisation ultime du capitalisme ?

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A. Postmodernité versus capitalisme narcissique

    Quelques précisions : nous nous servons ici du terme postmodernité pour qualifier un changement des mentalités qui succède à la période de basculement des révoltes des années 60 pour osciller dans le sens contraires dans les années 80, celui d’un conformisme intégral avec le monde de la consommation. C’est l’ère des « marques », du « bonheur chez Monoprix », de la séduction du « look », de la « culture pub », de la « téléréalité », du « plaisir des galeries commerciales », de la « défonce du consommateur » (selon une pub de Mammouth), du « jeunisme » décomplexé, le tout accompagné d’un prêt-à-penser anti-intellectualiste qui vire au relativisme intégral et se fiche éperdument de l’engagement politique vénéré par la génération précédente. Formulé de cette manière, le lien avec le narcissisme va tellement de soi qu’il est inutile de le démontrer. La confirmation est partout, aussi éclatante que la présence envahissante de la pub dans nos villes. Mais cela ne nous empêche pas d’essayer de le comprendre en profondeur.

    1) Ouvrons donc le livre de Lasch p. 21, dans le chapitre intitulé « L’invasion de la société par le moi » : « Après le tumulte politique des années 1960, les Américains se sont repliés vers des préoccupations purement personnelles ». Et Lasch énumère ensuite des activités diverses dont la vocation est certes « d’améliorer le psychisme », mais qui « traduisent un éloignement de la politique et une répudiation du passé récent… les émeutes, la nouvelle gauche, la révolte des étudiants, le Vietnam, le scandale Watergate etc. ». Or effectivement, le repli exclusif dans la sphère égotique Lasch La culture du narcissimerevient à ne s’intéresser qu’à « moi » et il correspond trait pour trait au narcissisme. C’est l’antithèse exacte de l’engagement qui invite à se déprendre du « moi » pour se tourner vers les autres et vouloir changer le monde. Bref, l’attitude révolutionnaire. Pour faire court : « La génération des années 60 voulait changer le monde ? Bof ! Nous on veut en profiter » voilà une formulation exacte et profiter est à prendre dans un sens complètement narcissique : tirer profit pour le « moi » dans une sens qui n’est pas seulement individualiste, mais outré et carrément hyperindividualiste. Et cela fonctionne très bien avec la publicité : « Si je n’ai qu’une vie, autant la vivre comme une blonde », pub pour une teinture de cheveux, ou le slogan de la bière Schlitz : « on en fait qu’un tour dans la vie, alors prenez-en ce qu’elle a de meilleu] ».

     De cette manière l’ego prend toute la place et se hisse au rang de « moi impérial ». « Par son égocentrisme et ses illusions de grandeur, le Narcisse contemporain ressemble… à ce « moi impérial» ».

      Mais, pour des raisons qu’il faut éclaircir, ce « moi impérial » ne peut pas s’affirmer tout seul, il a désespérément besoin des autres « moi » pour s’autoconfirmer justement dans son impérialisme. « Malgré ses illusions sporadiques d’omnipotence, Narcisse a besoin des autres pour s’estimer lui-même ; il ne peut vivre sans un public qui l’admire. Son émancipation apparente des liens familiaux et des contraintes institutionnelles ne lui apporte pas, pour autant, la liberté d’être autonome et de se complaire dans son individualité. Elle contribue, au contraire, à l’insécurité qu’il ne peut maîtriser qu’en voyante son « moi grandiose » reflété dans l’attention que lui porte autrui ou en s’attachant à ceux qui irradie la célébrité, la puissance et le charisme. Pour Narcisse le monde est un miroir ».

     Mais n’est pas tout simplement parce que par nature l’ego vit dans la peur ? Lasch n’arrive jamais à cette conclusion, mais il comprend très bien à quel point la gonflette égotique est une illusion. Et une illusion aussi répandue que le capitalisme lui-même. C’est d’aillieurs assez simple à comprendre. Nous savons que dès son origine le capitalisme a « donné libre cours au désir d’acquérir ». Nous savons aussi que par nature, le territoire de l’ego est celui de ses appartenances, le domaine du « mien », ce qui est « à moi ». La suite est logique. Un observateur critique comme Veblen avait déjà parfaitement compris que le développement du capitalisme s’enracinait dans la « rivalité ostentatoire ». Qu’à termes le capitalisme porterait (ou serait porté par ? ) un désir d’acquérir narcissique est dans l’ordre d’une pensée tellement asservie à l’ego qu’elle se mettrait complètement à sa dévotion pour produire un « narcissisme culturel » !

     C’était donc un pur fantasme que d’imaginer que « l’accumulation du capital sublimerait les appétits et subordonnerait « la poursuite de l’intérêt personnel au service des générations à venir ». Idéal vieillot du XIXème, du temps où la valeur travail était sacrée où un sens des valeurs morales était bien présent. Désormais la vie commencerait après le travail pour profiter et en matière de morale, le laxisme serait la règle. Finie l’époque où l’on écrivait sur les tombes en épitaphe « il aura consacré sa vie au travail », on est à l’heure des loisirs et du temps libre. Le rêve d’évasion de l’ego dans un ailleurs et un autrement plus réjouissant que la triste routine du travail motivé seulement par le salaire. Enfermé dans la bureaucratie, les contraintes sociales, l’individu ne trouve que l’apathie sensorielle et l’ennui et il doit donc nourrir son ego en cherchant dans un ailleurs sensuel des impressions fortes. Pour se sentir exister comme « moi ». De plus en plus fortes, dans une surenchère indéfinie, car, selon un paradoxe étrange, car plus l’ego se gonfle d’importance et plus le sujet ressent un vide. Au fond, « assailli par l’anxiété, la dépression, un mécontentement vague et un sentiment de vide intérieur, « l’homme psychologique » du XXème siècle ne cherche vraiment ni son propre développement, ni une transcendance spirituelle », il doit guérir un malaise existentiel, il doit donc se tourner vers les thérapeutes… dans l’espoir de parvenir à cet équivalent moderne du salut : la santé mentale ».

     2) Mais les thérapeutes peuvent-ils aider quand, imprégné de la pensée du monde agressivement individualiste, ils estiment que leur tâche est de renforcer un ego déficient ? Retrouver confiance en soi et gonfler son ego, est-ce vraiment la même chose ? Mais c’est pourtant ce que les gens croient dans ce contexte. Et puis, n’est-il pas évident que la culture ambiante nous bombarde en permanence de suggestions pour aller chercher au-dehors de quoi remplir le vide intérieur ? Et avec quoi ? Des objets offrant des compensations.  

     Lasch comprend qu’invoquer l’omniprésence de la bureaucratie en régime capitaliste ne suffit pas. Il poursuit donc et ajoute un autre facteur : « la reproduction mécanique de la culture, la prolifération d’images visuelles et auditives dans notre « société du spectacle ». « Nous vivons dans un tourbillon d’images et d’échos qui interrompt l’expérience et la rejoue » et il doit y avoir quelque chose d’obsessionnel et d’hallucinatoire dans ce processus.

   Pour un livre paru en 1979, qui n’a pas connu l’invasion du selfie le texte de Lasch est assez remarquable d’anticipation. Qu’est-ce qui symbolise le mieux le narcissisme achevé que le selfie ? Il n’y a pas mieux comme symbole. « Je me prends moi en photo et je me regarde moi ensuite et je montre mon image à d’autres qui me renvoient dans des compliment le petit plaisir que j’ai me regarder moi dans mon image ». L’image de mon apparence identifiée avec mon moi précieux, de sorte que l’ego n’a alors plus d’autre contenu que la platitude d’une image ! Mais une image que tout le monde pourra voir sur les réseaux sociaux et liker pour me faire valoir. Lasch s’en tient à la photographie et au cinéma. Mais il dit : « les caméras et les machines à enregistrer ne transcrivent pas seulement le vécu, elles en altèrent la qualité, donnant à une grande partie de la vie moderne le caractère d’une énorme chambre d’écho, d’un palais de miroirs ».

   Il faudrait aller bien plus loin. La Vie qui s’éprouve elle-même dans le vécu comme Soi n’est pas dans la représentation et ne le sera jamais. Confondre ce que je suis avec une image c’est se prendre pour une apparence et une représentation, et donc …tomber dans l’illusion. S’imaginer (on ne peut rien faire d’autre) que je suis l’image ne peut être qu’un fantasme de l’ego, entièrement… vide. Une identification erronée à la forme. Mais la représentation est tellement séduisante, captivante ! Et il est si facile de se laisser hypnotiser par des images… surtout des images de « moi ».

    Mais en bout de course du capitalisme,

   

 

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     © Philosophie et spiritualité, 2019, Serge Carfantan,
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