Dialogues et commentaires sur la leçon:
L'image du philosophe


"On ne peut rien enseigner à autrui, on ne peut que l'aider à le découvrir lui-même".
Galiléo Galiléi.


Xavier Dubos
Q. N'y a-t-il pas contradiction entre éveil de l'ignorance et éveil des connaissances? Comment peut-on ignorer quelque chose que l'on sait, qui est en nous et dont nous ne nous rendons pas compte?

R. Nous allons peut-être de l'un vers l'autre non?  Si nous n'avons pas conscience de la confusions des opinions en nous, nous n'avons pas conscience de notre ignorance. On croit savoir et en réalité on se paye de mots. Mais si nous sommes mis au pied du mur, devant cette confusion qui est dans notre esprit, alors, nous aurons la sincérité de chercher la vérité. Et il est tout à fait possible que des questions justes, un éclairage proposé puisse dé-couvrir le vrai. Nous avons parfois besoin d'être provoqué par des question pour éveiller des évidences. Quand nous avons le sentiment de réellement comprendre (ce qu'il est est du désir, de l'amour, du mouvement du temps et nous etc.), ce n'est jamais quelque chose de totalement neuf. C'est un peu comme retrouver ce que toujours nous avons su au fond de nous. C'est peut-être ce que veut dire cette vérité dans l'âme dont nous parle Platon.

Camille Dutertre
Q. Peut-on dire que Socrate dénigre pour autant l'apprentissage? 

R. Non, ce serait excessif. L'instruction  a sa place. L'apprentissage nous a formé jusqu'ici et il continuera à nous former, pour tisser notre savoir sur le monde. Cependant, il y a une différence entre instruire et éduquer. L'éducation au sens le plus élevé n'est pas une mémorisation d'un savoir. Un homme cultivé n'est pas seulement quelqu'un qui a beaucoup appris. C'est celui qui a intégré ce qu'il a appris : comprendre, c'est prendre avec soi, (cum-predere) c'est plus qu'apprendre. Il vient un moment dans la vie où nous devons ressaisir en nous ce que nous savons. C'est exactement le sens de l'acte philosophique et c'est déjà cette exigence de justification qui apparaît avec Socrate. 

Lisa Quillacq
Q. Je trouves très bien de remettre en cause les préjugés comme le fait Socrate, je suis d'accord, mais je ne vois pas où cela mène, si c'est pour rendre les gens encore plus confus, je ne vois pas l'intérêt.

R. Platon donne l'image du colombier pour qualifier l'esprit à l'égard de l'opinion, un espace où volent au hasard des bandes d'oiseaux. Il donne une autre image pour qualifier l'esprit à l'égard de la science, celle de la pierre précieuse sertie dans la bague. D'un côté le flottement des opinions, de l'autre ce qui est solide, assuré dans des raisons, muni de justifications, des convictions fondées. Rejeter le faux, se débarrasser, c'est remettre en ordre son esprit, ce n'est certainement pas rendre l'esprit confus, c'est le rendre plus ordonné, parce qu'il est plus conscient. Plus de conscience, implique plus d'ordre et de cohérence dans la pensée.

Christine Dulac
Q. Le mot "opinion" est-il un terme négatif?

R. Juger en négatif/positif est toujours très vague. Le terme l'opinion en général qualifie l'existence de fait d'une pensée liée à la conscience collective, l'opinion, c'est ce que On pense. Pris au pluriel (mes opinions), il désigne un avis que j'ai sur telle ou telle chose. C'est une position qui reste hypothétique, pas très assurée. Si nous en avons conscience, très bien. Par contre, croire que mes opinions sont des vérités absolues, c'est se leurrer. Ce ne sont même pas des convictions solides, car des raisons manquent.

Émilie Boisson
Q. Quelle est la différence entre une opinion et une conviction?

R. Une conviction est munie de raisons solides, elle peut-être partagée, discutée, argumentée. Nous n'avons pas de conviction en l'air, sinon ce ne serait pas des convictions, mais de simples opinions. La conviction est plus rationnelle, elle parle à l'intelligence, plus qu'au pathos, elle n'est pas une simple persuasion subjective.

Lisa Guerrero
Q. Est-ce que la philosophie peut apporter des réponses concrètes aux questions u'on se pose toute notre vie?

R. Sans hésitation oui.  Les grandes philosophies ne sont pas des labyrinthes où on se perd, mais des phares pour éclairer le chenal du bateau qui rentre au port. L'exemple de l'épicurisme et celui du stoïcisme sont remarquables en ce sens. Des générations d'hommes ont vécu en mettant en pratique leurs principes et y ont trouvé des réponses essentielles. Cependant, comme le souligne Jaspers, le mouvement de la recherche fait qu'en philosophie, les questions sont plus importantes que les réponses où l'esprit risquerait de s'arrêter trop vite. Jaspers dit qu'il y a dans les grandes philosophie des sommets lumineux où l'esprit atteint un accomplissement. Mais cela n'exclut pas le dynamisme de l'intelligence qui poursuit le mouvement de son interrogation. On retrouve des intuitions semblables chez Krishnamurti.

Estelle Martinez
Q. Quel est l'intérêt de tout remettre en doute, puisque les gens ont besoin de repères et que personne ne détient la vérité?

R. Si les gens ont besoin de repères, c'est qu'ils sont déjà perdus, perdu dans un monde sans règles, perdu dans une confusion qui est ignorance. Donner une connaissance vraie, c'est retrouver des repères. Mais pour que le vrai éclaire l'intelligence et devienne un guide, une boussole pour ce repérer dans ce monde confus qui est le nôtre, il faut purifier par le doute la grande salade mentale que constituent nos opinions. Pour éduquer vraiment, il faut aussi dés-éduquer ! On ne peut rien bâtir de vrai, de juste, de grand, d'élevé, sur des fondations mouvantes. Peut-on détenir la vérité? En être propriétaire? Le seul et l'unique? Ce genre de prétention nous mène droit au fanatisme. Personne ne détient la vérité, mais toute intelligence est à même d'exprimer la vérité.

Aurélie Escola
Q. Quelle est la différence entre le moi et le je?

R. Cette question est assez radicale pour un cours d'introduction à la philosophie. Elle sera traitée plus tard, dans le cours sur le sujet conscient. Juste un mot : Il y a une jolie métaphore indienne sur ce thème : la roue du char tourne et est sans cesse en mouvement. Plus on va vers l'extérieur, plus le changement est important. Pourtant, au centre de la roue, il y a un point immobile qui ne change pas et qui permet justement le mouvement. D'ailleurs, ce moyeu de la roue du char est souvent vide. Traduisons : le moi est l'individualité dans le temps, toujours en devenir. Le je est l'axe central de la personnalité, la conscience d'unité qui rend possible la conscience de la diversité. Le Je cependant est sans forme, il est une pure pulsation de conscience.

Claire Duport
Q. Dire "ce que je sais, c'est que je ne sais rien", n'est-ce pas une facilité pour Socrate, alors qu'il prend plaisir à mettre au jour l'ignorance des autres?

R. Ce n'est pas très confortable de faire un tel aveu, la facilité, c'est plutôt de se donner toutes sortes d'opinions sur tout et n'importe quoi. Socrate exprime un moment essentiel de la découverte de l'âme, le moment où elle trouve son abîme, le passage par le désert de l'esprit, la complète nudité. C'est vous qui parlez de "prendre plaisir à mettre à jour l'ignorance", vous projetez une intention maligne, mais je ne pense vraiment pas que c'était ce que Socrate exprimait.

Mathias Joly
je voudrais connaître l’importance de la part de subjectivité dans le travail des philosophes. Savoir s’ils tiennent conte des différentes possibilités d’interprétations ? Si oui, parlent ils de plusieurs vérités ? Ou bien, d’absence de vérité ?

Pierre Jouenne
Je vous écris pour vous poser une question au sujet d'un texte que vous avez mis sur votre site au lien suivant : http://philosophie-spiritualite.com/textes_1/jaspers3.htm Il traite de la notion de philosophie. J'ai vraiment du mal avec la compréhension du premier paragraphe, c'est pourquoi je vous demande de m'aider. Pourquoi l'auteur dit-il "tout homme est la philosophie" ? Quel est le lien avec la phrase précédente ? Quelle est la signification des deux phrases qui suivent : "Mais il n'est pas du tout facile de saisir ce sens par une réflexion suivie. Une réflexion systématique dans ce domaine exige une étude." Qu'est-ce qui est désigné par "ce sens" ? Les deux termes "réflexion" renvoient-ils à la même chose ? Quel est le "domaine" étudié ? L'étude est-elle la suite du texte ? Voilà. Je suis désolé de poser autant de questions à la suite, mais je n'arrive pas à saisir la portée de chaque mot dans la phrase, et sa cohérence avec ce qui est autour. Pour l'instant, si je reformule le passage, cela donne : La philosophie traite de l'absolu (des valeurs, des idées, des concepts) qui se rend présent dans la vie réelle (de tous les jours, concrète, matérielle et psychique). Tout homme est la philosophie, donc traite de "l'absolu qui s'actualise dans la vie réelle". Là, je n'arrive pas à voir le lien entre un homme et une démarche de pensée. J'aurais plus pensé "L'homme pratique la philosophie". Mais je comprends sans doute mal. Mais cette dernière idée (l'identité homme-philosophie) est difficile à comprendre par un raisonnement. Je suis bien d'accord, j'ai compris que je n'ai pas compris ... Réfléchir en philosophie demande une étude, ce qu'on analyse. On donne ensuite trois fondements de la pensée philosophique : l'esprit critique, l'histoire de la philosophie et l'application au quotidien. Donc est-ce que mon interprétation est correct et que signifie "Tout homme est la philosophie" ?

R. Ouf! Ne compliquez pas outre mesure. Vous vous en tirez bien ici : "La philosophie traite de l'absolu (des valeurs, des idées, des concepts) qui se rend présent dans la vie réelle (de tous les jours, concrète, matérielle et psychique)". Il faudrait plutôt dire tout homme est la philosophie dans le sens où il rend présent l'absolu dans sa vie relative. Autant dire, comme c'est expliqué dans la leçon suivante, que la philosophie est une réflexion sur l'expérience humaine et en ce sens, tout homme porte en lui la philosophie car il en est le centre. Le mot "sens" doit être pris dans sa valeur la plus forte : sens existentiel chez Jaspers, le sens de la vie si vous préférez. Mais si cela vous semble difficile, restez en à l'interprétation de la pratique de la philosophie. Cela suffit à ce stade.

 

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Avec la participation de Xavier Dubos, Lisa Quillacq, Emilie Boisson, Lisa Guerrero, Estelle Martinez, Claire Duport. Aurélie Escola.


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