Dialogues et commentaires sur la leçon:
L'expérience passionnelle


Magali Toursel
Q. Est-ce que l'amour-passion peut devenir de l'amour? 

R. L'amour est toujours présent, dès le début, même s'il est vite recouvert par la puissance du désir ; cette prédation de l'autre qui devient si étouffante au point d'engendrer la haine passionnelle. L'amour-passion, c'est le désir qui prend le pas sur la délicatesse du sentiment, la tendresse présente dans l'amour. Cette délicatesse est présente au début, mais elle est débordée par le besoin de posséder l'autre, de se l'approprier, d'où la violence passionnelle et la jalousie. 
Je ne réponds pas à cette question. A vous d'y répondre. Elle va revenir dans le cours sur autrui. ce que je souhaiterais, c'est que nous nous demandions en nous même comment cette qualité délicate de l'amour peut-être retrouvée une fois que l'attachement est installé, qu'une mainmise sur l'autre et sur sa liberté s'est installée. Comme effectivement peut on aller de l'amour-passion à l'amour? Y a-t-il vraiment un sens à parler d'un passage de l'un à l'autre? Réfléchissez. Qu'est-ce qui passe? n'est-ce pas la marée du désir et son reflux?

Xavier Dubos
Q. Est-ce que l'on ne peut pas dire que le joueur, c'est celui qui met en fait sa vie en jeu? 

R. C'est très juste. La passion, si elle n'est pas un investissement total, n'est pas une vraie passion. Cela devient donc une question de vie et de mort, le joueur mise sa vie, il joue avec le fait de prendre un risque insensé, alors même qu'il est complètement identifié à ce qu'il joue, à l'argent. Parce qu'il n'est pas détaché, c'est lui-même qu'il joue, il se joue. Il y a un sens profond de cette formule mettre sa vie en jeu qui excède la seule passion du jeu, qui se rattache à la Passion qui, parce qu'elle est sans compromis met entièrement la Vie en jeu, sans réserve. 

Magali Toursel
Q. Est-ce que ce n'est pas excessif de se représenter la passion de cette manière, dans une opposition tranchée avec la conduite raisonnable? (cf. partie B du cours)

R. Là où la dualité est brutale, il y a sûrement caricature. Il faut soupçonner que la réalité doit être plus complexe et en réalité envelopper les contraires. La représentation duelle conduite passionnelle/conduite rationnelle a cependant un mérite, elle clarifie les enjeux d'une opposition que l'on rencontre très bien dans le moralisme. (la guerre entre raison et passion). Il faut aller au-delà de cette dualité, c'est ce que nous allons examiner dans la dernière partie.

Yohann Lichtlin
Q. Dans le christianisme, il y a bien une critique des passions, comme le dit Nietzsche, mais est-ce que l'on parle pas aussi de passion au sujet de la Passion du Christ?

R. C'est en effet un paradoxe étonnant. Comment peut-on faire la guerre aux passions humaines, comme relevant du péché (le lucre, la luxure, l'orgueil, dans les passions de l'argent, dans la passion amoureuse et la passion du pouvoir), et parler de la souffrance endurée par le Christ comme la Passion? Il faut nécessairement que ce ne soit pas la même chose. Si la passion de quelque chose est mauvaise, c'est qu'elle renforce trop le moi humain et maintient l'homme dans le péché, c'est qu'elle est oeuvre du démon en l'homme. Mais s'agissant de Jésus, le sacrifice de sa vie pour l'humanité est un don qui est compassion, ce que nous avons décrit comme la Passion sans motif. Il y a de la différence entre la religion populaire et la morale que l'on en tire et la mystique. Pour les mystiques, la Passion des passion, c'est l'amour de Dieu. Il est sans cesse question de Passion dans la mystique ; Dieu n'est jamais décrit  comme une froide et implacable raison. Par contre, il est vrai qu'un moralisme d'inspiration chrétienne a présenté comme nécessaire au salut la mortification de la chair et a vu dans les passions la présence du mal. Ce paradoxe est très présent dans les Pensées de Pascal.

     Jean-Pierre Geay
Ce qui m'a le plus frappé , je l'avoue , c'est votre résumé de la thèse de Michel Henry concernant la Passion , et l'affirmation : '' la Vie est Passion '' . ( de même que : '' pour un esprit religieux , l'amour de Dieu est la passion suprême '' ) . La Passion , telle que l'entend ce philosophe , et telle que , peut-être vous l'entendez , n'est-elle pas l'Amour , cette prodigieuse Force d'Attraction Universelle dont nous entretiennent toutes les sagesses traditionnelles , et qui est la Vie , et qui revêt tant de formes multiples , aussi bien dans la matière que dans les sphères du mental et des sentiments . . .L'Amour qui est aussi connaissance , et qui éveille l'intellect , lui permettant de sortir de ses limites ( tant il est vrai que '' l'Amour entre là où l'intellect reste à la porte '' ) .J'ai de ce thème une appréhension incertaine , sans réelle connaissance . Mais j'ai toujours plus ou moins pressenti que la vie devait être vécue en communion avec la Vie et sans doute avec Passion , et que notre monde ( j'entends par là notre petit univers , celui que nous percevons à travers nos préjugés et nos fantasmes réducteurs ) s'illuminerait et se '' réchaufferait '' si nous parvenions à nous enflammer nous-mêmes . J'ai bien conscience d'utiliser des mots et expressions qui ressortissent plus au mysticisme qu'à la philosophie , mais je débute et n'ai point encore la possibilité de m'exprimer d'autre façon sur ce sujet . Veuillez m'en excuser . Voulez-vous me dire si mon assimilation de la Passion à l' Amour ne constitue pas une erreur philosophique ? De toutes façons, la passion , dans l'acception habituelle du mot , à savoir un sentiment excessif , parfaitement égocentrique , que le sujet éprouve avec passivité , est bien une forme de l'amour . La Passion dont vous nous entretenez est fusion consciente avec la Vie , lâcher-prise et adhésion profonde au monde ... Que devient alors l'intellect , si la passion l'éveille ? Et quel rôle joue alors la raison ?

R. Admirable ! Vous avez très bien compris l'enjeu. Dans le dernier livre de Michel Henry,  Incarnation, son interprétation du christianisme part de là. "Je suis la Vie" a un sens radical. La Passion est alors comprise comme l'éternelle étreinte de la Vie en elle-même. La véritable mystique est du Feu de Dieu! L'Amour est la Passion immobile qui brûle d'elle-même dans l'extase de la Toute-création. Par "immobile" j'entends le fait que la Passion n'est plus alors dérivée vers un objet extérieur. C'est exactement ce que dit Krishnamurti quand il parle de passion sans motif. La réponse qu'il donne est que dans la passion sans motif il y a un éveil de l'intelligence qui va au-delà de l'intellect.

 

 Avec la participation de Magali Toursel, Xavier Dubos, Yohann Lichtlin..

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