Textes philosophiques

Bachelard  la réalité première est dans l'instant


     Nous verrons (...) que la vie ne peut être comprise dans une contemplation passive; la comprendre, c'est plus que la vivre, c'est vraiment la propulser. Elle ne coule pas le long d'une pente, dans l'axe d'un temps objectif qui la recevrait comme un canal. Elle est une forme imposée à la file des instants du temps, mais c'est toujours dans un instant qu'elle trouve sa réalité première (...). Il n'y a que la paresse qui soit durable, l'acte est instantané. Comment ne pas dire alors que réciproquement l'instantané est acte? Qu'on se rende donc compte que l'expérience immédiate du temps, ce n'est pas l'expérience si fugace, si difficile, si savante, de la durée, mais bien l'expérience nonchalante de l'instant, saisi toujours comme immobile. Tout ce qui est simple, tout ce qui est fort en nous, tout ce qui est durable même, est le don d'un instant. On se souvient d'avoir été, on ne se souvient pas d'avoir duré (...). La mémoire, gardienne du temps, ne garde que l'instant; elle ne conserve rien, absolument rien, de notre sensation compliquée et factice qu'est La psychologie de la volonté et de l'attention — cette volonté de l'intelligence—nous prépare également à admettre comme hypothèse de travail la conception (...) de l'instant sans durée. Dans cette psychologie, il est bien sûr déjà que la durée ne saurait intervenir qu indirectement; on voit assez facilement qu'elle n'est pas une condition primordiale: avec la durée on peut peut‑être mesurer l'attente, non pas l'attention elle‑même qui reçoit toute sa valeur d'intensité dans un seul instant. la durée. . D'ailleurs puisque l'attention a le besoin et le pouvoir de se reprendre, elle est par essence tout entière dans ses reprises. L'attention aussi est une série de commencements, elle est faite des renaissances de l'esprit qui revient à la conscience quand le temps marque des instants. En outre, si nous portions notre examen dans cet étroit domaine où l'attention devient décision, nous verrions ce qu'il y a de fulgurant dans une volonté où viennent converger l'évidence des motifs et la joie de l'acte. Entre M. Bergson et nous‑même, c'est donc toujours la même différence de méthode; il prend le temps plein d'événements au niveau même de la conscience des événements, puis il efface peu à peu les événements, ou la conscience des événements; il atteindrait alors, croit‑il, le temps sans événements, ou la conscience de la durée pure. Au contraire, nous ne savons sentir le temps qu'en multipliant les instants conscients (...). La conscience du temps est toujours pour nous une conscience de l'utilisation des instants, elle est toujours active, jamais passive, bref la conscience de notre durée est la conscience d'un progrès de notre être intime, que ce progrès soit d'ailleurs effectif ou mimé ou encore simplement rêvé.

L'intuition de l'instant, 1932, Éd. Gonthier, coll. Médiations, pp 22‑23, 34

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