Textes philosophiques

Stephen Jourdain   vrais et faux désirs


    "S'il est vrai que chacun de nous est mu, à hauteur de... quatre vingt dix-huit... quatre vingt dix-neuf pour cent ? par les opinions qu'il s'attribue faussement, il est vrai également que nos vies sont de haletantes, d'épiques marées de faux désirs. Un vrai désir est une fleur qui éclot, spontanément, dans le «coeuur». Cet élan-là, purement positif, n'induit aucune sensation de séparation. Le faux désir est celui qui nous pousse dans la « tête ». Il est indissociable de la sensation de séparation, d'incomplétude. Il va vers son objet négativement, comme s'il fuyait une souffrance. On doit voir en lui l'origine de cette conception pessimiste du désir, qui le montre comme fondamentalement incapable de s'assouvir, comme irrémédiablement contradictoire et pervers. J'ai fait une longue marche, je ruisselle de sueur sous le soleil d'août. J'ai soif. Il y a là un ruisseau, ou une source, je me désaltère. Simple, non ? Ça, c'était un vrai désir. Plus tard, ma mémoire me présente la joie ineffable que ç'a été de boire. Cette présentation, en elle-même, n'a pas à être mise en cause. Mais voici qu'à l'occasion de l'inoffensif souvenir, jaillit une espèce de déduction-réflexe : se désaltérer est divin, sans cette félicité, la vie ne vaut pas la peine d'être vécue ergo,je dois absolument boire De quoi s'agit-il ? D'un simple assemblage logique - possiblement boiteux, de surcroît. Est-il besoin de vous peindre le choc que représente, pour un psychisme, l'apparition en lui de ce genre de petit eurêka intempestif, de raisonnement sauvage ? L'équivalent interne du choc anaphylactique. Je n'ai pas soif. L'état de non-soif est absolument indolore. Tout va bien. A l'intérieur, l'illusion que tout va mal me submerge ! Strictement non sollicitée, mon affectivité se déchaîne ! L'explosion prend la force d'une polarisation fébrile autour de l'idée / sensation, obsessionnelle, j'ai soif d'avoir soif. Mais y a-t-il, véritablement, une idée ??? y a-t-il, véritablement, une sensation ??? Peut-on se contenter de faire fond sur l'apparence, qui est que quelque chose est authentiquement vécu ??? Le faux désir apparaît comme une bouffée délirante impliquant aussi bien notre rationalité que notre affectivité, et ayant son origine dans un pontage intempestif de ces deux grandes dimensions de l'intériorité. Est faux, et doit être récusé et immédiatement désinvesti, tout soi-disant mien désir s'enracinant dans une présentation de ma raison.

     Achetez-vous donc un deuxième cahier d'écolier, et, avec le même crayon-qui-sent-bon, inscrivez sur la couverture : INVENTAIRE DE MES FAUX DÉSIRS Au cas où vous découvririez que votre problème est une affligeante absence de désirs, je vous rappelle qu'avoir un problème, c'est désirer le résoudre. Donc, vous allez tester, un à un, l'ensemble de vos désirs / appétits / centres d'intérêt / mobiles; une à une, chacune de vos inclinations / aspirations/ passions / ambitions / obnubilations / options.. . Je vous le dis sans la moindre ironie: vous allez avoir bien du plaisir. En vrac, quelques remarques, quelques clés et quelques « trucs », pour servir à votre enquête. 1° Le faux désir donne volontiers dans le grand, l'auguste. Attendez-vous à un personnage impressionnant et qui ne rit jamais. L'objectif qu'il vous désigne comme étant le vôtre ressemble rarement à un trou de souris, mais plutôt à l'Église de la Madeleine ou à la Chambre des Députés. « Réussir dans ma vie » ne ressemble pas à un trou de souris. «M'éveiller», non plus. 2° Le faux désir est arrivé à vous convaincre, primo, qu'il sortait de vos tripes, secundo, que votre implication en lui était absolue. Il faut vous réveiller ! Une bonne idée serait d'aborder le suspect avec le tranchant de cette question, simple et brutale : « En ai-je quoi que ce soit à foutre ? » 3° Une autre bonne interrogation serait celle-ci : « Je souffre abominablement de ne pas posséder ceci, d'échouer à atteindre cela. La douleur, ça fait mal: OÙ AI-JE MAL ? »".

Cahier d'éveil, I. Éditions du Relié.

Indications de lecture:

Cf. leçon L'obscur objet du désir.

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