Textes philosophiques

Emmanuel Levinas  la relation à autrui et le l'altérité


      Dans le monde, autrui n’est certes pas traité comme une chose, mais il n’est jamais séparé des choses. Non seulement il est abordé et donné à travers sa situation sociale, non seulement le respect de la personne se manifeste par un respect de ses droits et de ses prérogatives ; non seulement ; à l’exemple des installations qui nous livrent les choses, les institutions nous mettent en rapport avec les personnes, les collectivités, l’histoire et le surnaturel —autrui dans le monde est l’objet de par son vêtement même. Nous avons affaire à des être habillés. L’homme a déjà pris un soin élémentaire de sa toilette. Il s’est regardé dans la glace et s’est vu. Il s’est lavé, a effacé la nuit de ses traits et les traces de sa permanence instinctive – il est propre et abstrait. La socialité est décente. Les relations sociales les plus délicates s’accomplissent dans les formes ; elles sauvegardent les apparences qui prêtent un vêtement de sincérité à toutes les équivoques et les rendent mondaines. Ce qui est réfractaire aux formes est retranché du monde. Le scandale s’abrite dans la nuit, dans les maisons, chez soi – qui dans le monde jouissent comme d’une extra-territorialité.

     La simple nudité du corps que nous pouvons rencontrer ne change rien à l’universalité du vêtement. La nudité y perd sa signification. Les êtres humains au Conseil de révision sont traités comme du matériel humain. Ils sont revêtus d’une forme. La beauté — la forme parfaite — est la forme par excellence — et les statues de l’antiquité ne sont jamais véritablement nues.

     La forme est ce par quoi un être est tourné vers le soleil — ce par quoi il a une face, par laquelle il se donne, par laquelle il s’apporte. Elle cache la nudité dans laquelle l’être déshabillé se retire du monde, est précisément comme si son existence était ailleurs, avait un « envers » et comme si « le temps d’un sein nu entre deux chemises » il était surpris. C’est pourquoi la relation avec la nudité est la véritable expérience — si ce terme n’était pas impossible dans une relation qui va au delà du monde — de l’altérité d’autrui. La socialité dans le monde, n’a pas ce caractère inquiétant d’un être devant un autre être, devant l’altérité. Elle comporte certes des colères, des indignations, des haines et des attachements et des amours portés aux qualités et à la substance d’autrui ; mais la timidité foncière devant l’altérité même d’autrui, traitée de maladive, est chassée du monde. Il faut trouver quelque chose à dire à son compagnon — échanger une idée, autour de laquelle comme autour d’un troisième terme — nécessairement — la socialité s’établit.

     La socialité dans le monde est communication ou communion. Se brouiller, c’est constater qu’on n’a rien de commun. C’est par une participation à quelque chose de commun, à une idée, à un intérêt, à une œuvre, à un repas, au « troisième homme » que s’établit le contact. Les personnes ne sont pas l’une devant l’autre, simplement, elles sont les unes avec les autres autour de quelque chose. Le prochain, c’est le complice.

De l’existence à l’existant, Vrin, Paris 1993, p. 60-61.

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