Textes philosophiques

Maurice Merleau-Ponty  la perception et l'apparence


    "Chaque perception est muable et seulement probable; si l'on veut ce n'est qu'une opinion ; mais ce qui ne l'est pas, ce que chaque perception, même fausse, vérifie, c'est l'appartenance de chaque expérience au même monde, leur égal pouvoir de le manifester, à titre de possibilités du même monde. Si l'une prend si bien la place de l'autre — au point qu'on ne trouve plus trace un moment après de l'illusion —, c'est précisément qu'elles ne sont pas des hypothèses successives touchant un Etre inconnaissable, mais des perspectives sur le même Être familier dont nous savons qu'il ne peut exclure l'une sans inclure l'autre, et qu'en tout état de cause, il est lui, hors de contexte. Et c'est pourquoi la fragilité même de telle perception, attestée par son éclatement et la substitution d'une autre perception, loin qu'elle nous autorise à effacer en elles toutes l'indice de «réalité», nous oblige à le leur accorder à toutes, à reconnaître en elles toutes des variantes du même monde, et enfin à les considérer non comme toutes fausses, mais comme «toutes vraies», non comme des échecs répétés dans la détermination du monde, mais comme des approches progressives. Chaque perception enveloppe la possibilité de son remplacement par une autre et donc d'une sorte de désaveu des choses, mais cela veut dire aussi: chaque perception est le terme d'une approche, d'une série d'«illusions» qui n'étaient pas seulement de simples «pensées», au sens restrictif de l'Etre-pour-soi et du «rien que pensé», mais des possibilités qui auraient pu être, des rayonnements de ce monde unique qu'«il y a»... — et qui, à ce titre, ne font jamais retour au néant ou à la subjectivité, comme si elles n'étaient jamais apparues, mais sont plutôt, comme le dit bien Husserl, «barrées», ou «biffées», par la «nouvelle» réalité. La philosophie réflexive n'a pas tort de considérer le faux comme une vérité mutilée ou partielle: son tort est plutôt de faire comme si le partiel n'était qu'absence de fait de la totalité, qui n'a pas besoin qu'on en rende compte, ce qui finalement supprime toute consistance propre de l'apparence, l'intègre par avance à l'Être, lui ôte, comme partiel, sa teneur de vérité, l'escamote dans une adéquation interne où l'Etre et les raisons d'être ne font qu'un".

Le Visible et l'invisible, Gallimard, 1964, pp. 64-65

 

A, B, C, D, E, F, G, H, I, J, K, L, M, N, O, P, Q, R, S, T, U, V, W, X, Y, Z.


Bienvenue| Cours de philosophie| Suivi des classes| Textes philosophiques| Liens sur la philosophie| Nos travaux| Informations
 philosophie.spiritualite@gmail.com