Textes philosophiques

Platon    le rhéteur plus efficace que le médecin


    "- Cependant, ceux qui croient sont persuadés aussi bien que ceux qui savent.

- C’est vrai.

- Alors veux-tu que nous admettions deux sortes de persuasion, l’une qui produit la croyance sans la science, et l’autre qui produit la science ?

- Parfaitement.

- De ces deux persuasions, quelle est celle que la rhétorique opère dans les tribunaux et les autres assemblées relativement au juste et à l’injuste ? Est-ce celle d’où naît la croyance sans la science ou celle qui engendre la science ?

- Il est bien évident, Socrate, que c’est celle d’où naît la croyance.

- La rhétorique est donc ce qu’il paraît l’ouvrière de la persuasion qui fait croire, non de celle qui fait savoir relativement au juste et à l’injuste?

- Oui.

- A ce compte, l’orateur n’est pas propre à instruire les tribunaux et les autres assemblées sur le juste et l’injuste, il ne peut leur donner que la croyance. Le fait est qu’il ne pourrait instruire en si peu de temps une foule si nombreuse sur de si grands sujets.

- Assurément non.

- Allons maintenant, examinons la portée de nos opinions sur la rhétorique, car, pour moi, je n’arrive pas encore à préciser ce que j’en pense. Lorsque la cité convoque une assemblée pour choisir des médecins, des constructeurs de navires ou quelque autre espèce d’artisans, ce n’est pas, n’est-ce pas, l’homme habile à parler que l’on consultera; car il est clair que, dans chacun de ces choix, c’est l’homme de métier le plus habile qu’il faut prendre. Ce n’est pas lui non plus que l’on consultera, s’il s’agit de construire des remparts ou d’installer des ports ou des arsenaux, mais bien les architectes. De même encore, quand on délibérera sur le choix des généraux, l’ordre de l d’une armée, l’enlèvement d’une place forte, c’est aux experts dans l’art militaire qu’on demandera conseil, et non aux experts dans la parole. Qu’en penses tu, Gorgias ? Puisque tu déclares que tu es toi-même Orateur et que tu es capable de former des orateurs, il est juste que tu nous renseignes sur ce qui concerne ton art. Sois persuadé qu’en ce moment moi-même je défends tes intérêts. Peut-être en effet y a-t-il ici, parmi les assistants, des gens qui désirent devenir tes disciples. Je devine qu’il y en a, et même beaucoup, mais qui peut 6tre n’osent pas t’interroger. Figure-toi donc, lorsque je te questionne, qu’ils te posent la même question que n : Que gagnerons-nous, Gorgias, si nous suivons tes leçons ? Sur quelles affaires serons-nous capables de conseiller la cité? Sera-ce uniquement sur le juste et l’injuste ou aussi sur les sujets mentionnés tout à l’heure par Socrate ? » Essaye donc de leur répondre.

- Oui, Socrate, je vais essayer de te dévoiler clairement a puissance de la rhétorique dans toute son a car u m’as toi-même fort bien montré la voie. Tu sais, je pense, que ces arsenaux et ces remparts d’Athènes et l’organisation de ses ports sont dus en partie aux conseils de Thémistocle, en partie à ceux de Périclès, et non à ceux des hommes de métier.

- C’est ce qu’on dit de Thémistocle, Gorgias. Quant à Périclès, je l’ai entendu moi-même, quand il nous conseilla la construction du mur intérieur.

- Et quand il s’agit de faire un de ces choix dont tu parlais tout à l’heure, Socrate, tu vois que les orateurs sont ceux qui donnent leur, avis en ces matières, et qui sont triompher leurs opinions.

- C’est aussi ce qui m’étonne, Gorgias, et c’est pourquoi je te demande depuis longtemps quelle est cette puissance de la rhétorique. Elle me paraît en effet merveilleusement grande, à l’envisager de ce point de vue.

- Que dirais-tu, si tu savais tout, si tu savais qu’elle embrasse pour ainsi dire en elle-même toutes les puissances. Je vais t’en donner une preuve frappante. J’ai souvent accompagné mon frère et d’autres médecins chez quelqu’un de leurs malades qui refusait de boire une potion ou de se laisser amputer ou cautériser par le médecin. Or tandis que celui-ci n’arrivait pas à les persuader, je l’ai fait, moi, sans autre art que la rhétorique. Qu’un orateur et un médecin se rende dans la ville que tu voudras, s’il faut discuter dans l’assemblée du peuple, ou dans quelque autre réunion, pour décider lequel des deux doit être élu comme médecin…".

Gorgias

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