Textes philosophiques

Pierre Thuillier       la science est bâtie sur des présupposés


  Il y a à la base de « la science » toute une série de présupposés qui, le plus souvent, sont présentés comme des évidences ou des conventions neutres - mais qui, pratiquement, imposent ou favorisent des façons d’agir qui ne sont pas neutres du tout. Le professeur Hamburger nous dit : « nul ne peut prétendre tirer de la méthode scientifique ni morale ni politique ». Si on considère la science et la méthode scientifique de façon myope, sans dépasser le cas de la fonction glycogénique du foie, ce propos a peut-être une certaine vraisemblance.

     Mais, dès qu’on examine globalement le fonctionnement social de la science, l’étroitesse de ce purisme scientifique devient de plus en plus visible. « La science » ne se réduit pas à la recherche, à l’activité intellectuelle des « savants ». La science est une institution, une réalité sociale qui, effectivement ou potentiellement, est partout présente. Même les théories dites scientifiques mette en œuvre des options d’ordre philosophique, c’est-à-dire non neutre. En ce sens, il y a déjà dans la science (avant toute « utilisation » précise) des sortes de normes morales et politiques, plus ou moins implicites, plus ou moins conscientes. Mieux encore, il suffit d’ouvrir les yeux sur ce qui se passe en fait pour constater que « la science » émet de la morale et de la politique. Concédons au professeur Hamburger que « la science » ne devrait pas se comporter ainsi. Mais qu’y puis-je si des scientifiques, forts de leurs connaissances, proclament expressément que la société doit leur obéir ! Tel est en effet le message diffusé par E.O. Wilson, promoteur éminent de la sociobiologie. D’après ce professeur de Harvard, qui ré-écrit à sa façon la théorie darwinienne, les êtres vivants (et les hommes en particulier) servent seulement à propager les gènes, c’est-à-dire les fragments d’A.D.N. qui sont les supports de l’hérédité. A partir de cette idée, il a élaboré une théorie qui prétend expliquer tous les phénomènes évolutifs : et, entre autres, tous les comportements sociaux des animaux (et donc des hommes). Fait remarquable, il affirme catégoriquement que les sociobiologistes doivent supplanter tous les autres « experts » (politiciens, sociologues, historiens, etc.) qui s’occupaient jusqu’ici des affaires sociales. Car les sociobiologistes sont les « nouveaux moralistes ». Eux seuls peuvent étudier sérieusement les diverses « trajectoires évolutives » de l’humanité ; eux seuls, donc, sont capables de prendre en main notre destin.

texte de 1979.

Indications de lecture:

cf. Technique et volonté de puissance. Science et philosophie. Voir aussi Logique et progrès des sciences. Voir Edgar Morin Science avec Conscience. Voir l'oeuvre de Jacques Ellul. Le début de cet extrait est donné sur le site, cf. texte précédent de P. Thuillier.

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