Textes philosophiques

Jean Baudrillard                 langage de la publicité et propagande


   “Ce que nous vivons, c’est l’absorption de tous les modes d’expression virtuels dans celui de la publicité. Toutes les formes culturelles originales, tous les langages déterminés s’absorbent dans celui-ci parce qu’il est sans profondeur, instantané et instantanément oublié. Triomphe de la forme superficielle, plus petit commun dénominateur de toutes significations, degré zéro du sens, triomphe de l’entropie sur tous les tropes possibles. Forme la plus basse de l’énergie du signe.”

“Toutes les formes actuelles d’activité tendent vers la publicité, et la plupart s’y épuisent. Par forcément la publicité nominale, celle qui se produit comme telle – mais la forme publicitaire […]”

Un phénomène actuel est celui de la transparence superficielle de toutes choses, celui de la publicité absolue.

Publicité et propagande prennent toute leur envergure à partir de la Révolution d’Octobre et de la crise mondiale de 29. Leur deux registres tendent à se rapprocher progressivement. La propagande se rapproche de la publicité au moment ou elle commence à utiliser l’idée-force de la société concurrentielle: la marchandise et la marque. C’est l’entrée du marketing dans la politique.

Dans notre société il n’y a plus de différence entre économie et politique, c’est le même langage et les mêmes méthodes. On peut dire que l’économie politique est pleinement réalisée. “Du destin historique qu’il était, le social lui-même est tombé au rang d’une «entreprise collective» assurant sa publicité tous azimuts.”

La forme publicitaire s’impose et se développe comme rhétorique de plus en plus neutre, équivalente, sans affects. La pub n’est plus un enjeu, elle est entrée dans les mœurs.

La puissance de simplification de tous les langages lui est aujourd’hui ravie par un autre type de langage encore plus simplifié et donc plus opérationnel: les langages informatiques. “Le micro-processus, la digitalité, les langages cybernétiques vont beaucoup plus loin dans le même sens de la simplification absolue des processus que la publicité ne le faisait à son humble niveau, encore imaginaire et spectaculaire. Et c’est parce que ces systèmes vont plus loin qu’ils polarisent aujourd’hui la fascination jadis dévolue à la publicité. C’est l’information, au sens informatique du terme, qui mettra fin, qui met déjà fin au règne de la publicité. C’est ça qui fait peur, et c’est ça qui passionne. La «passion» publicitaire s’est déplacée sur les computers et la miniaturisation informatique de la vie quotidienne.”

La publicité n’est plus aujourd’hui un moyen de communication ou d’information (au cas où elle l’ait jamais été).

“Si à un moment donné la marchandise était sa propre publicité (il n’y en avait pas d’autre), aujourd’hui la publicité est devenue sa propre marchandise. Elle se confond avec elle-même (et l’érotisme dont elle s’affuble n’est que l’index auto-érotique d’un système qui ne fait plus que se désigner lui-même – d’où l’absurdité d’y voir une «aliénation» du corps de la femme).”

“Ce n’est pas un hasard si la publicité, après avoir véhiculé longtemps un ultimatum implicite de type économique, disant et répétant au fond inlassablement: «J’achète, je consomme, je jouis», répète aujourd’hui sous toutes les formes: «Je vote, je participe, je suis présent, je suis concerné» - miroir d’une dérision paradoxale, miroir de l’indifférence de toute signification publique.”

La publicité du social: “Forme annonciatrice d’un univers saturé. Désaffecté mais saturé. Insensibilisé mais plein à craquer.”

Las Vegas des années ’50 était la ville publicitaire absolue.

“[…] cette euphorie stupéfiée, hyperréelle, que nous n’échangerions plus contre quoi que ce soit d’autre, et qui est la forme vide et sans appel de la séduction.”

“La publicité donc, comme l’information: destructrice d’intensités, accélérateur d’inertie. Voyez comme tous les artifices du sens et du non-sens y sont répétés avec lassitude, comme toutes les procédures, tous les dispositifs du langage de la communication (la fonction de contact: vous m’entendez ? Vous me regardez ? Ça va parler ! – la fonction référentielle, la fonction poétique même, l’allusion, l’ironie, le jeu de mots, l’inconscient) comment tout cela est mis en scène exactement comme le sexe dans le porno, c’est-à-dire sans y croire, avec la même obscénité fatiguée. C’est pourquoi il est inutile d’analyser désormais la publicité comme langage, car c’est autre chose qui y a lieu: une doublure de la langue (des images aussi bien) à laquelle ni linguistique ni sémiologie ne répondent, puisqu’elles travaillent sur l’opération véritable du sens, sans pressentir du tout cette exorbitation caricaturale de toutes les fonctions du langage, cette ouverture sur un immense champ de dérision des signes, «consommés» comme on dit dans leur dérision, pour leur dérision et le spectacle collectif de leur jeu sans enjeu 

Simulacre et simulation,  Editions Galilée.

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