Textes philosophiquesOliver Cabanel L'homme jetableDu bas nylon à l’imprimante d’ordinateur, on sait maintenant que les marchands du temple de la finance ont savamment programmé la durée de vie d’un objet. Il s’agit de faire de nous d’éternels consommateurs. Pourtant, des citoyens réagissent. Cette société dite de consommation que des mauvais esprits qualifieront de gaspillage pourrait connaitre de mauvais jours dans les temps à venir. Certains petits malins, à la recherche de produits durables, ont découvert des parades possibles afin de prolonger la vie de nos produits de consommation. C’est ce que racontait le 15 février 2011 le film de Cosima Dannoritzer, « Prêt à jeter » sur ARTE. lien Prenant l’exemple d’une imprimante d’ordinateur, ils ont découvert qu’une puce y avait été installée, afin de provoquer une panne à partir de 18 000 feuilles imprimées. Le calcul est simple : il s’agit de pousser le consommateur à acheter une nouvelle imprimante, alors que la sienne marche très bien, et d’en faire un consommateur victime, aux ordres du marché. De plus les arguments ne manquent pas : la réparation coutera une centaine d’euros, alors qu’une nouvelle imprimante plus performante n’en coute que 30. Pourquoi hésiter ? Cette pratique à un nom : l’obsolescence programmée : il s’agit de mettre au point des techniques pour réduire la durée de vie d’un produit, l’argument « choc » étant : s’il n’y a plus de consommation, il n’y a plus de croissance. Un magasine écrivait déjà en 1928: « Un produit qui ne s’use pas est une tragédie pour les affaires». Mais ou est l’éthique quand on conçoit délibérément un produit pour qu’il tombe en panne au bout d’un certain temps? D’autant que l’obsolescence programmée contribue à l’épuisement des réserves, et remet en cause la politique de gestion des déchets. lien Alors, refusant d’être considéré comme une vache à lait, un ingénieux informaticien, Marco Lopez, à la recherche de la puce fautive, et l’ayant détectée, l’a tout simplement enlevée, relançant la vie de son imprimante pour quelques années de plus. L’obsolescence programmée s’est invitée dès 1938 lorsque Wallace H. Carothers de chez Du Pont a mis au point le nylon, afin de remplacer la soie pour la fabrication des bas. lien Ce fil synthétique était si résistant que les bas nylons produits à l’époque étaient quasiment inusables. lien Les fabricants ont perçu çà comme un danger pour l’économie, et se sont empressés de fragiliser ce fil nylon, afin de permettre de vendre régulièrement des bas nylons. Selon le professeur et chimiste, spécialiste de la chimie verte, Michael Braungart : « afin d’y arriver, ils ont modifié la texture du nylon en y mettant moins d’additifs, ou plus d’additifs du tout, en les rendant plus sensibles aux rayonnements ultra-violet du soleil ou a l’oxygène présent dans l’air ». lien La même mésaventure est arrivée à la lampe à incandescence. Le 22 octobre 1879 Thomas Edison met au point la première ampoule qui va bruler pendant 40 heures. lien Mais à Shelby, dans l’Ohio, en 1895 Adolphe Chaillet, met au point des lampes qui ont une vie quasi illimitée : il en reste au moins une, et elle se trouve à Livermore en Californie. lien Elle est suspendue au plafond de la caserne des pompiers et elle a une particularité : celle d’avoir brillé sans discontinuer depuis le 18 juin1901. lien L’inventeur à malheureusement emmené son secret dans sa tombe. Çà fait donc plus de 109 ans qu’elle éclaire le plafond de la caserne des pompiers sans la moindre défaillance, et pour son centenaire, 900 amis de la lampe sont venues fêter la vie interminable de la courageuse petite ampoule, en lui chantant : « happy birthday to you ». Il y a même un site web qui montre cette ampoule, filmée en continu par une caméra. Hélas, en 1924, plusieurs hommes se sont réunis dans le plus grand des secrets, afin de créer un cartel appelé Phébus, (compagnie industrielle pour le développement de l’éclairage, à Genève) afin de contrôler la durée de vie des ampoules et de se partager « le gâteau ». lien Le cartel de Phébus décida donc de promouvoir l’idée de limiter par des moyens techniques cette durée de vie à 1000 heures. Si les fabricants n’obéissaient pas aux consignes du cartel, ils devaient payer des amendes. Lorsque l’existence du cartel fut découverte, un procès fut lancé, lequel dura 11 ans et qui condamna le cartel à lever leur prescription sur la durée de vie des ampoules : c’était en 1954. Mais ce jugement n’a jamais été appliqué, et les ampoules continuent à être programmées pour ne vivre que 1000 heures~. Dans les années suivantes des chercheurs ont mis au point des ampoules dont la durée de vie pouvait atteindre 100 000 heures, mais aucune d’elle n’est parvenue sur le marché. Le même phénomène s’est produit en Allemagne de l’Est, ou avant la chute du mur, l’entreprise Narva avait mis au point une ampoule avec une durée de vie exceptionnelle. A la chute du mur, l’entreprise a fermé, et aujourd’hui on ne trouve plus cette ampoule que dans un musée, ou chez des collectionneurs. Que dire de ce fabricant de vélo qui faisait une entaille sur le pédalier afin qu’il casse plus facilement ? Un autre exemple de cette
stratégie est illustré par Ford, l’inventeur de la célèbre Ford T, laquelle
était conçue pour durer, et être bon marché. Ford la voulait aussi
universelle et comme il le disait « tout le monde peut avoir une Ford T de
couleur, à condition que ce soit le noir ». Il en vendra plus de 16 millions
en 19 ans. Pour battre Ford, Alfred P. Sloan patron de Général Motors,
choisi alors une stratégie opposée : privilégiant la forme au fond,
proposant des modèles de couleurs et de formes différentes, il va encourager
le consommateur à changer de voiture tous les 3 ans et sera le premier à
développer le concept de l’obsolescence planifiée. lien Le consommateur a
été séduit, les ventes de Ford se sont écroulées, et il n’a eu d’autres
choix que de reprendre à son compte la stratégie de Général Motors en
proposant de nouveaux modèles Ford chaque année. Comme le dit Serge Latouche « il ne s’agit plus de croitre pour satisfaire les besoins, mais de croitre pour croitre (…) celui qui croit qu’une croissance infinie est compatible avec une planète finie est soit un fou, soit un économiste, le drame c’est qu’au fond, nous sommes tous des économistes maintenant» Vouloir la croissance à
tout prix, dans un monde qui a une limite est donc une folie : nous sommes
lancés à grande vitesse sur l’autoroute du progrès et devant nous, il y a un
mur, mais personne ne veut freiner. vidéo La guerre entre le jetable et
l’inusable est donc lancée. Paru sur Agoravox Indication de lecture:Il faut voir absolument l'émission d'Arte Prêt à jeter qui est commentée ici sur l'obsolescence programmée, elle est remarquable.
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