Textes philosophiques

Fontenelle  la pluralité des mondes


    "Beaucoup de corps qui paraissent solides ne sont presque que des amas de ces animaux imperceptibles, qui y trouvent pour leurs mouvements autant de liberté qu'il leur en faut. Une feuille d'arbre est un petit monde habité par des vermisseaux invisibles, à qui elle paraît d'une étendue immense, qui y connaissent des montagnes et des abîmes, et qui, d'un côté de la feuille à l'autre, n'ont pas plus de communication avec les autres vermisseaux qui y vivent que nous avec nos antipodes. A plus forte raison, ce me semble, une grosse planète sera-t-elle un monde habité. On a trouvé jusque dans des espèces de pierres très dures de petits vers sans nombre, qui y étaient logés de toutes parts dans des vides insensibles, et qui ne se nourrissaient que de la substance de ces pierres qu'ils rongeaient. Figurez-vous combien il y avait de ces petits vers, et pendant combien d'années ils subsistaient de la grosseur d'un grain de sable; et sur cet exemple, quand la Lune ne serait qu'un amas de rochers, je la ferais plutôt ronger par ses habitants, que de n'y en pas mettre. Enfin tout est vivant, tout est animé; mettez toutes ces espèces d'animaux nouvellement découvertes, et même toutes celles que l'on conçoit aisément qui sont encore à découvrir, avec celles que l'on a toujours vues, vous trouverez assurément que la terre est bien peuplée, et que la nature y a si libéralement répandu les animaux, qu'elle ne s'est pas mise en peine que l'on en vît seulement la moitié. Croirez-vous qu'après qu'elle a poussé ici sa fécondité jusqu'à l'excès, elle a été pour toutes les autres planètes d'une stérilité à n'y rien produire de vivant ? Ma raison est assez bien convaincue, dit la Marquise, mais mon imagination est accablée de la multitude infinie des habitants de toutes ces planètes, et embarrassée de la diversité qu'il faut établir entre eux; car je vois bien que la nature, selon qu'elle est ennemie des répétitions, les aura tous faits différents; mais comment se représenter tout cela ? Ce n'est pas à l'imagination à prétendre se le représenter, répondis-je, elle ne peut aller plus loin que les yeux. On peut seulement apercevoir d'une certaine vue universelle la diversité que la nature doit avoir mise entre tous ces mondes. Tous les visages sont en général sur un même modèle; mais ceux de deux grandes nations, comme des Européens, si vous voulez, et des Africains ou des Tartares, paraissent être faits sur deux modèles particuliers, et il faudrait encore trouver le modèle des visages de chaque famille. Quel secret doit avoir eu la nature pour varier en tant de manières une chose aussi simple qu'un visage ? Nous ne sommes dans l'univers que comme une petite famille, dont tous les visages se ressemblent; dans une autre planète, c'est une autre famille, dont les visages ont un autre air."

Entretiens sur la pluralité des mondes, troisième soir.

Indications de lecture:

Cf. leçons sur la vie dans l'univers.

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