Textes philosophiques

René Huygues    La puissance de manipulation des images et les médias


     « Le professeur Daniel Boorstin de l’Université de Chicago a publié, il y a peu, un livre sur l’image, et pour qualifier sa hantise il a avancé le terme de « cancer social ». Cette prolifération de l’image, envisagée comme un instrument d’information, précipite la tendance de l’homme moderne à la passivité : sans aller jusqu’à ces images que l’on a essayé de faire passer sur l’écran cinématographique trop rapidement pour qu’elles soient remarquées, mais assez toutefois pour qu’elles s’impriment dans notre inconscient avec un pouvoir de suggestion que rien n’entrave plus, on peut dire que cet assaut continuel du regard vise à créer une inertie du spectateur. Hors d’état de réfléchir et de contrôler, il enregistre et subit une sorte d’hypnotisme larvé. La réflexion est éliminée et le réflexe, avec son automatisme, tend à le supplanter ; il est simplement conditionné à un degré supérieur à celui que réalisait l’expérience fondamentale de Pavlov. On pourrait dire que l’image, par l’emploi qui en est fait aujourd’hui, vise à étendre au psychisme les règles célèbres que Taylor avait édictées pour l’action, en la pliant aux lois de la machine. Cette triple règle s’énonçait : « identité, répétition, rapidité ». On pourra vérifier que la publicité, la télévision ou le cinéma se plient à ces principes et les appliquent à l’emploi qu’ils font de l’image, quand ils entendent se servir d’elle pour imprimer aux esprits une orientation déterminée. La publicité, en particulier, qui vise sans ambages à une dictature mentale, tire toute son efficacité de leur stricte observance.

     Une revue française spécialisée, Télérama, a eu l’idée d’interviewer un jeune fanatique de la télévision, âgé de 18 ans et nommé Gérard. Ce spectateur qui suivait les émissions depuis l’âge de dix ans avait abouti à une véritable intoxication : il avouait lui-même : « Je suis comme un alcoolique, j’ai besoin de ma ration d’images, trois ou quatre heures par jour ». Il confessait : « je n’achète aucun livre… la T.V. a remplacé tout ça » et il ajoutait : « elle l’a remplacé par le confort, un fauteuil, un verre », soulignant ainsi l’allure éminemment inactive de sa réceptivité. Il Terminait enfin par cet aveu terrible, surtout dans la bouche d’un adolescent, arrivé au moment où il faut aborder la vie à la fois avec enthousiasme et avec ses capacités propres : « La T.V. m’évite de m’ennuyer. C’est un moyen de tuer le temps… Rien dans la vie ne m’intéresse. LA T.V. me fait oublier que je n’ai pas de but ». On est obligé de penser que cet exercice constant de la passivité, entraîné par l’abus de ce qu’on pourrait appeler l’image autoritaire, avait grandement contribué à casser le ressort personnel de cet être désormais inapte à remplir son rôle social, du moment qu’on n’entend pas le réduire à celui d’une unité anonyme dans une masse dirigée"                                                            

Les Puissances de l'image, Flammarion,  p.8-9.


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