Textes philosophiques

A. Jacquard   races et racisme


    Il n'est pas inutile, pour commencer, de confronter ces deux termes, race et racisme :

  • l'un évoque des recherches scientifiques, a priori légitimes, basées sur des données objectives: le but est de mettre au point des méthodes de classement des individus permettant éventuellement de définir des groupes, les "races", relativement homogènes;
  • l'autre évoque une attitude d'esprit, nécessairement subjective: il s'agit de comparer les diverses races en attribuant une "valeur" à chacune et en établissant une hiérarchie.

Ces deux activités sont, bien évidemment, distinctes: l'on peut chercher à définir des races sans le moins du monde être "raciste" au sens que nous venons de préciser. Remarquons cependant que cette possibilité reste, le plus souvent, toute théorique. Le besoin de définir des races est rarement motivé par un pur souci de taxonomiste désireux de mettre de l'ordre dans l'ensemble de ses données; il résulte du désir, si développé dans notre société, de différencier des autres groupes celui auquel nous appartenons. Il correspond à l'idée platonicienne d'un "type". Nous pouvons définir l'espèce humaine, mais il est difficile de préciser avec quelques détails le type humain idéal; plusieurs types sont nécessaires: le Blanc, le Noir, l'Indien, l'Esquimau, etc.
Pour marquer de façon un peu caricaturale, et sans prétendre que les taxonomistes sérieux sont tombés dans ces excès, jusqu'où peuvent aller cette typification et la confusion qu'elle entraîne, citons quelques extraits de la Géographie universelle de Crozat8 parue en 1827 (19), il y a seulement un siècle et demi:

Les Chinois ont le front large, le visage carré, le nez court, de grandes oreilles et les cheveux noirs... Ils sont naturellement doux et patients mais égoïstes, orgueilleux...
Les Nègres sont en général bien faits et robustes, mais paresseux, fourbes, ivrognes, gourmands et malpropres...
Les habitants de l'Amérique sont agiles et légers à la course; la plupart sont paresseux et indolents, quelques-uns sont fort cruels...

Arrêtons là ce sottisier qui, il faut le rappeler, n'est pas fourni par la prose d'un romancier formulant des sentiments personnels, mais a été écrit par un géographe soucieux de faire oeuvre scientifique. Ces citations ont le mérite de montrer qu'une classification repose le plus souvent sur un mélange de critères, les uns objectifs, les autres subjectifs, et qu'elle évite rarement une hiérarchisation: les races sont différentes, donc certaines sont "meilleures" que d'autres. On sait jusqu'où, dans cette voie, ont pu aller certains dictateurs.

Ils ne faisaient d'ailleurs qu'exploiter dans le domaine de la politique, de l'action, les idées que leur avaient fournies certains scientifiques. Notre vision de la transformation progressive des êtres vivants, plantes, animaux ou hommes, est basée, depuis Darwin, sur les concepts de la lutte pour la vie, de la victoire du plus apte, de l'élimination des êtres débiles, de la propagation, au fil des générations, des traits favorables. Ces concepts, définis au départ pour caractériser les individus, ont été, presque sans discussion, étendus aux groupes d'individus, aux races. Les différences entre peuples ont été vues comme le résultat d'évolutions plus ou moins favorables, ont été perçues comme des inégalités; il n'est guère besoin d'interroger longuement nos concitoyens pour constater que, dans leur esprit, ces inégalités font partie des évidences: certaines races sont supérieures (en général la nôtre), d'autres sont inférieures.

Certes la plupart des Français affirment sincèrement qu'ils ne sont pas racistes; les Sud-Africains, les Américains du Nord, les Allemands ou les Russes sont d'affreux racistes, mais pas nous. Tout juste estimons-nous, avec raison bien sûr, que nous sommes supérieurs aux Arabes, aux Noirs, aux Tsiganes ou aux Hindous, sans compter divers autres peuples mal dotés par la nature et qui, n'est-ce pas, "ne sont pas comme nous". Soyons sérieux, le racisme, c'est-à-dire le sentiment d'appartenir à un groupe humain disposant d'un patrimoine biologique meilleur, est un sentiment à peu près universellement partagé.

Il n'est guère difficile de découvrir des exemples d'attitudes où ce racisme inconscient se dévoile; le plus étonnant que nous ayons trouvé est sans doute cette phrase inattendue figurant dans le Règlement du service dans l'armée au chapitre précisant les missions du colonel :

"Le colonel... indique les moyens les plus propres à développer le patriotisme: fortifier l'amour de la Patrie et le sens de la supériorité de la race..."

Il ne s'agit pas d'un règlement concernant l'armée allemande au temps du nazisme, il s'agit de l'armée française, et ce document a été imprimé en 1957.
Qu'une telle phrase ait pu être écrite et approuvée par plusieurs ministres et chefs d'état-major montre combien il paraît naturel, à la plupart d'entre nous, de définir une "race française" et de glorifier sa valeur par rapport aux autres races.

Un scientifique constatant que, effectivement, les éléments en sa possession aboutissent à confirmer l'existence de races "inégales", c'est-à-dire hiérarchisables, ne devrait pas cacher cette conclusion; l'éthique de la science est le respect de la vérité. Mais, inversement, il ne doit pas hésiter, pour proclamer cette vérité, à lutter contre les idées reçues, même si elles sont adoptées à la quasi-unanimité. Il est important de faire le point: qu'apporte la science, et principalement la génétique, au concept de race?

Eloge de la différence

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