Textes philosophiques

Jules Lequier    L'éternité et l'instant


    A présent, à cet instant qui est l’instant présent, l’Éternité est ; et elle est tout entière ; tout entière à la fois. Et cela ne peut être sans qu’à l’Éternité même ne coexiste l’instant présent, puisque c’est cela même que je dis. Mais de ce que coexister veut dire exister ensemble, s’ensuit-il qu’il appartient à l’instant présent d’avoir toute l’extension de l’Éternité ? Cela serait absurde. L’instant présent existe présentement, l’Éternité est présentement du présent qui appartient à Dieu, sans que de ces deux présents ni l’un se rapetisse infiniment ni l’autre s’étende infiniment pour s’égaler à l’autre. Le Présent immense, le Présent parfait contient seulement l’autre qui n’est qu’un point, et il contient aussi, à la vérité, et le futur qui n’est pas encore et le passé qui n’est plus ; mais il ne les contient pas dans ce point qui est l’instant présent, de telle sorte que le futur serait avant lui-même et le passé après lui-même : le passé a été, et le futur sera, dans ce présent inaltérable. A été, sera : c’est moi qui parle. Toutes ces divisions de l’Être, vraies pour moi, vraies en soi, vraies pour Dieu, par conséquent, n’affectent en rien pourtant son présent éternel et indéfectible. Dieu ne dit pas, comme moi qui passe et me succède : Telle chose était, je la voyais être. Dieu est l’éternel témoin des vicissitudes, mais il n’y a point en lui la plus légère ombre de vicissitude. Je dis en lui ; car la succession, réelle en soi, est réelle devant lui, quoique infiniment au-dessous de lui. L’Éternité est donc, à l’instant présent. Elle est, et tout entière. Elle n’est point en puissance ; elle est en acte. Elle est sans devenir. Mais elle est d’un être qui lui est propre : l’acte de l’Éternité est un acte sui generis. C’est en quelque façon une plénitude de l’Être qui déborde infiniment dans l’Être ; c’est,comme il a été dit ci-dessus, c’est une autre Immensité qui incessamment, indivisiblement, immensifie l’immobile Immensité elle-même dans l’immobilité de la Permanence absolue. Or, les scholastiques, malgré la pénétration dont ils ont fait si souvent preuve dans leurs analyses, se sont laissés aller à tellement identifier les caractères de l’Éternité à ceux de l’Immensité proprement dite qu’ils ne font plus çà et là que retrouver l’Immensité. […]

Oeuvres posthumes publiées par Charles Renouvier

 

A, B, C, D, E, F, G, H, I, J, K, L, M, N, O, P, Q, R, S, T, U, V, W, X, Y, Z.


Bienvenue| Cours de philosophie| Suivi des classes| Textes philosophiques| Liens sur la philosophie| Nos travaux| Informations
 
philosophie.spiritualite@gmail.com