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Quentin Meillasoux     le sensible n'existe que dans la conscience


        «Lorsque je me brûle à une chandelle, je considère spontanément que la sensation de brûlure est dans mon doigt, et non dans la chandelle. Je ne touche pas une douleur qui serait présente dans la flamme, comme l’une de ses propriétés: le brasier ne se brûle pas lorsqu’il brûle. Mais ce que l’on admet pour les affections doit se dire de la même façon pour les sensations: la saveur d’un aliment n’est pas goûtée par l’aliment et n’existe donc pas en celui-ci avant qu’il ne soit absorbé. De même, la beauté mélodieuse d’une séquence sonore n’est pas entendue par la mélodie; la couleur éclatante d’un tableau n’est pas vue par le pigment coloré de la toile, etc. Bref, rien de sensible — qualité affective ou perceptive — ne peut exister tel qu’il se donne à moi en la chose seule, sans rapport à moi-même, ou à un autre vivant. Si l’on considère en pensée cette chose “en soi”, c’est-à-dire indifféremment au rapport qu’elle entretient avec moi, aucune de ces qualités ne paraît pouvoir subsister. Ôtez l’observateur, et le monde se vide de ses qualités sonores, visuelles, olfactives, etc., comme la flamme se “vide” de la douleur une fois le doigt ôté. 

On ne peut pourtant pas dire que le sensible serait injecté par moi dans les choses à la façon d’une hallucination permanente et arbitraire (*). Car il y bien un lien constant entre ces réalités et leur sensation: sans 
chose capable de susciter la sensation de rouge, par de perception de chose rouge; sans feu bien réel, pas de sensation de brûlure. Mais il n’y a pas de sens à dire que le rouge ou la chaleur de la chose existeraient aussi bien, à titre de qualité, sans moi qu’avec moi: sans perception de rouge, pas de chose rouge; sans sensation de chaleur, pas de chaleur. Qu’il soit affectif ou perceptif, le sensible n’existe donc que comme rapport: rapport entre le monde et le vivant que je suis. Le sensible, en vérité, n’est ni simplement “en moi”, à la façon d’un rêve, ni simplement “en la chose” à la façon d’une propriété intrinsèque: il est la relation entre la chose et moi. 

Après la finitude, Seuil, 2006 

Indications de lecture:

Relier aux textes de Berkeley. Voir la leçon La raison et le sensible.


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