Textes philosophiques

Shankara  le sujet ne peut pas constituer une objet de connaissance


     "(Le maître) : Non ! Il suffit, pour réfuter cela, de rappeler que l'aperception n'existe que dans le Soi. Si l'établissement du sujet connaissant dépendait des moyens de connaissance droite, à qui appartiendrait donc le désir de connaître (pramitsâ)? Il convient d'admettre que le sujet connaissant est l'entité même à qui appartient le désir de connaître. Et ce désir est dirigé vers l'objet connaissable, non vers le sujet connaissant. S'il était dirigé vers le sujet, une régression à l'infini (anavasthâ) s'en suivrait, relative tant au sujet qu'à son désir de connaître. Il faudrait poser un connaissant de ce connaissant et un (troisième) connaissant pour le second, etc. Il en irait pareillement pour le désir de connaître °'. De plus, le sujet connaissant ne peut pas constituer un objet de connaissance pour lui-même car il n'est absolument pas séparé de lui-même. C'est en effet une règle générale en ce monde qu'un objet de connaissance n'est possible (comme tel) que s'il est (d'abord) séparé du sujet connaissant et (ensuite) relié à lui par la médiation du désir, du souvenir, de l'effort et des moyens de connaissance droite. Mais aucun sujet connaissant ne se laisse imaginer à la fois séparé de lui-même et relié à lui-même par son propre désir, etc. Le souvenir porte sur l'objet que l'on cherche à se rémémorer, non sur le « rérnémorant » lui-même, et pareillement le désir porte sur la chose désirée, non sur le sujet désirant. Et si désir et souvenir pouvaient porter sur le sujet lui-même, une régression à l'infini deviendrait, comme dans le cas précédent, inévitable.

   (Le disciple) : Mais si la connaissance ne peut prendre le sujet connaissant lui-même pour objet, celui-ci demeurera inconnu!

(Le maître): Non ! La connaissance mise en oeuvre par le sujet connaissant ne porte que sur l'objet à connaître. Si elle devait porter sur le sujet connaissant, on retomberait dans la même régression à l'infini qu'auparavant. Et, dans le Soi, l'aperception, en sa qualité de lumière éternelle et immuable, est établie par elle-même, sans l'aide d'aucun autre (principe). Nous avons déjà dit qu'elle était semblable en cela à la chaleur et à la lumière du feu ou du soleil. Et nous avons déjà expliqué pourquoi, dans le cas où l'aperception autolumineuse ne demeurerait pas identique à elle-même dans le Soi, celui-ci n'existerait pas pour lui-même, serait chose composite, à la manière du complexe formé par le corps et les organes, et serait porteur de défauts. En quel sens? En ce sens qu'il comporterait comme des espaces internes vides impliquant l'intervention de fonctions du type de la mémoire, etc. De plus, cette conscience serait inexistante avant sa production comme après sa destruction. Et là où elle ne serait pas présente dans le Soi, celui-ci ne saurait exister pour lui-même. C'est cette présence ou absence de la conscience, en effet, qui permet de décider si une entité quelconque existe pour elle-même ou pour une autre.

(Le disciple) : Mais, s'il en va ainsi, le Soi ne sera pas le siège de la connaissance droite empirique (pramâ) ; comment alors parler encore de lui comme d'un sujet connaissant (pramâtr)?

(Le maître) : Que la connaissance droite empirique soit permanente ou non ne change rien à sa nature. Qu'elle surgisse (médiatement) grâce à la mémoire, au désir (de connaître), etc. et soit ainsi impermanente, ou qu'elle soit au contraire éternelle ne fait ici aucune différence. La racine verbale STHA garde le même sens, qu'elle désigne une « station » momentanée et précédée de mouvement ou une « station » permanente. C'est pourquoi on l'applique aussi bien à des hommes dont on dit qu'ils se tiennent (pour le moment) debout qu'à une montagne qui se dresse (perpétuellement) devant nous. Il n'y a donc aucune contradiction à parler de la qualité de « sujet connaissant » du Soi, bien qu'il ait la nature d'une immuable aperception.

Traité des mille enseignements, traduit par Michel Hulin, Vrin, 1994, p.62-64.

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