Textes philosophiques

Simone Weil  l'égalité et le respect


     L'égalité est un besoin vital de l'âme humaine. Elle consiste dans la reconnaissance publique, générale, effective, exprimée réellement par les institutions et les moeurs, que la même quantité de respect et d'égards est due à tout être humain, parce que le respect est dû à l'être humain comme tel et n'a pas de degrés.

     Par suite, les différences inévitables parmi les hommes ne doivent jamais porter la signification d'une différence dans le degré de respect. Pour qu'elles ne soient pas ressenties comme ayant cette signification, il faut un certain équilibre entre l'égalité et l'inégalité.

     Une certaine combinaison de l'égalité et de l'inégalité est constituée par l'égalité des possibilités. Si n'importe qui peut arriver au rang social correspondant à la fonction qu'il est capable de remplir, et si l'éducation est assez répandue pour que nul ne soit privé d'aucune capacité du seul fait de sa naissance, l'espérance est la même pour tous les enfants. Ainsi chaque homme est égal en espérance à chaque autre, pour son propre compte quand il est jeune, pour le compte de ses enfants plus tard.

     Mais cette combinaison, quand elle joue seule et non pas comme un facteur parmi d'autres, ne constitue pas un équilibre et enferme de grands dangers. D'abord, pour un homme qui est dans une situation inférieure et qui en souffre, savoir que sa situation est causée par son incapacité, et savoir que tout le monde le sait, n'est pas une consolation, mais un redoublement d'amertume ; selon les caractères, certains peuvent en être accablés, certains autres menés au crime. Puis il se crée ainsi inévitablement dans la vie sociale comme une pompe aspirante vers le haut. Il en résulte une maladie sociale si un mouvement descendant ne vient pas faire équilibre au mouvement ascendant. Dans la mesure où il est réellement possible qu'un enfant, fils de valet de ferme, soit un jour ministre, dans cette mesure il doit être réellement possible qu'un enfant, fils de ministre, soit un jour valet de ferme.

     L'Enracinement, Gallimard point, p. 26-27.

Indications de lecture :

(Attention de ne pas confondre avec la femme politique qui s'écrit Veil)


 

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