Textes philosophiques

Simone Weil     Beauté, contemplation et amour


     Nous reconstruisons nous-mêmes l’ordre du monde en image, à partir de données limitées, dénombrables, rigoureusement définies. Entre ces termes abstraits et par là maniables pour nous, nous nouons nous-mêmes des liens en concevant des rapports. Nous pouvons ainsi contempler dans une image, image dont l’existence même est suspendue à l’acte de notre attention, la nécessité qui est la substance même de l’univers, mais qui comme telle ne se manifeste à nous que par des coups.

On ne contemple pas sans quelque amour. La contemplation de cette image de l’ordre du monde constitue un certain contact avec la beauté du monde. La beauté du monde, c’est l’ordre du monde aimé.

L’amour charnel sous toutes ses formes, de la plus haute, véritable mariage ou amour platonique, jusqu’à la plus basse, jusqu’à la débauche, a pour objet la beauté du monde. L’amour qui s’adresse au spectacle des cieux, des plaines, de la mer, des montagnes, au silence de la nature rendu sensible par ses mille bruits légers, aux souffles des vents, à la chaleur du soleil, cet amour que tout être humain pressent tout au moins vaguement un moment, c’est un amour incomplet, douloureux, parce qu’il s’adresse à des choses incapables de répondre, à de la matière. Les hommes désirent reporter ce même amour sur un être qui soit leur semblable, capable de répondre à l’amour, de dire oui, de se livrer. Le sentiment de beauté parfois lié à l’aspect d’un être humain rend ce transfert possible tout au moins d’une manière illusoire. Mais c’est la beauté du monde, la beauté universelle vers laquelle se dirige le désir.

Attente de Dieu, 1950.

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