Textes philosophiques

Spinoza    nous sentons et nous savons par expérience que nous sommes éternels


   L’esprit humain ne peut être absolument détruit avec le corps, mais il en persiste quelque chose qui est éternel.
DÉMONSTRATION
Il est nécessairement donné en Dieu un concept ou une idée qui exprime l’essence du corps humain (selon la proposition précédente), et qui, pour cette raison, est nécessairement quelque chose qui appartient à l’essence de l’esprit humain (selon la proposition 13, partie II). Mais nous n’attribuons à l’esprit humain aucune durée qui puisse être définie par le temps, si ce n’est en tant qu’il exprime l’existence actuelle du corps, laquelle s’explique par la durée et peut être définie par le temps ; c’est-à-dire (selon le corollaire de la proposition 8, partie II) que nous ne lui accordons la durée que pendant la durée du corps. Comme cependant ce qui est conçu avec une certaine nécessité éternelle par l’essence même de Dieu est néanmoins quelque chose (selon la proposition précédente), ce quelque chose qui appartient à l’essence de l’esprit sera nécessairement éternel. C.Q.F.D.
SCOLIE
Cette idée, comme nous l’avons dit, qui exprime l’essence du corps sous l’espèce de l’éternité, est un certain mode de penser qui appartient à l’essence de l’esprit et qui est nécessairement éternel. Et cependant il ne peut se faire que nous nous souvenions d’avoir existé avant le corps, puisque aucunes traces n’en peuvent être données dans le corps, et que l’éternité ne peut être définie par le temps ni avoir aucune relation au temps. Mais néanmoins nous sentons et nous savons par expérience que nous sommes éternels. Car l’esprit ne sent pas moins les choses qu’il conçoit en les comprenant que celles qu’il a dans la mémoire. En effet, les yeux de l’esprit, par lesquels il voit et observe les choses, sont les démonstrations elles-mêmes. Aussi, quoique nous ne nous souvenions pas d’avoir existé avant le corps, nous sentons cependant que notre esprit, en tant qu’il enveloppe l’essence du corps sous l’espèce de l’éternité, est éternel, et que cette existence de l’esprit ne peut être définie par le temps ou expliquée par la durée. On peut donc dire que notre esprit dure et son existence peut être définie par un temps déterminé, dans la mesure seulement où il enveloppe l’existence actuelle du corps ; et dans cette mesure seulement il a la puissance de déterminer par le temps l’existence des choses et de les concevoir dans la durée.


l’Éthique, 
trad. par A. Guérinot, Paris, Ivrea, 1993.

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