Textes philosophiques

Shri Aurobindo     avidya,le mental et l'ignorance de Soi


     « Ce facteur nouveau est avidyâ, la faculté d’ignorance de soi qui sépare l’action du mental de l’action du supramental qui l’a causée et la gouverne encore de derrière le voile. Ainsi séparé, le mental ne perçoit que le particulier et non l’universel, ou ne conçoit que le particulier en un universel qu’il ne possède pas, et non plus à la fois le particulier et l’universel comme des phénomènes de l’infini. Nous avons ainsi le mental limité qui envisage chaque phénomène comme une chose-en-soi, commine une partie séparée d’un tout qui à son tour existe séparément dans un tout plus grand — et ainsi de suite, toujours élargissant ses agrégats sans retourner au sens d’une véritable infinité.
      Le Mental, étant une action de l'Infini, morcelle aussi bien qu’il agrège, ad infinitum. Il découpe l’être en un certain nombre d’entiers, en des entiers toujours plus petits, en atomes, et ces atomes en atomes primaires, jusqu’à dissoudre, s’il le pouvait, l’atome primaire en un néant. Mais il ne le peut, parce que derrière cette action de division est la connaissance salvatrice du supramental qui sait que chaque entier, chaque atome n’est qu’une concentration de la force totale, de la conscience totale, de l’être total en des formes phénoménales de soi. La dissolution de l’agrégat en un néant infini, à quoi semble parvenir le Mental, n’est pour le Supramental que la re-concentration de l’être conscient hors de son phénomène et son retour à son existence infinie. En quelque direction que sa conscience procède, que ce soit par la division infinie ou par l’agrandissement infini, elle n’arrive qu’à elle-même, à sa propre unité infinie, à son propre être éternel. Et quand l’action du Mental est consciemment subordonnée à cette connaissance du supramental, la vérité du processus lui est aussi connue, nullement ignorée de lui ; il n’y a pas réellement une division, mais seulement une concentration, multiple à l’infini, en des formes d’être et en des arrangements du rapport mutuel de ces formes d’être en quoi la division est une apparence subordonnée de l’entier processus, nécessaire à leur jeu temporel et spatial. Car divisez autant que vous voulez, descendez à l’atome le plus infinitésimal ou formez le plus monstrueux agrégat de mondes et de systèmes, aucun de ces processus ne vous conduit à une chose-en-soi ; toutes ces choses sont des formes d’une Force qui seule est réelle en soi, alors qu’elles ne sont réelles que comme des images de soi, des formes se manifestant de F éternelle Force-Consciente.D’où vient donc originellement l'avidyâ limitatrice, la chute du Mental hors du Supramental, avec sa conséquence, l’idée d’une division réelle? De quelle perversion précise du fonctionnement supramental? Elle vient de ce que l’âme individualisée voit tout de son propre point de vue et exclut tous les autres ; elle vient, autrement dit, d’une exclusive concentration de conscience, d'une exclusive identification de l’âme avec une action particulière, temporelle et spatiale, qui n’est qu’une partie de son propre jeu d’être ; elle vient de ce que l’âme méconnait ce fait que tous les autres sont aussi elle-même, toute autre action sa propre action et tous les autres états d’être et de conscience les siens aussi, tout comme l’action de l’instant particulier dans le temps, du point particulier dans l’espace et de la forme particulière que présentement clic habite. Elle se concentre sur le moment, le champ, la forme, le mouvement, si bien qu’elle perd le reste ; elle doit alors recouvrer le reste en reliant cette succession d’instants, cette succession de points dans l’espace, cette succession de formes dans le temps et l'espace, cette succession de mouvements dans le temps et l’espace. Elle a ainsi perdu la vérité de l’indivisibilité du temps, de l’indivisibilité de la force et de la substance. Elle a même perdu de vue le fait évident, que tous les mentaux sont un unique Mental se plaçant à beaucoup de points de vue différents, toutes les vies une Vie unique causant plusieurs courants d’activité".

La Vie divine, I, Albin-Michel, p. 222-223.

Indications de lecture:

David Bohm explicite à sa façon la même idée quand il définit la pensée fragmentaire. Cf. Philosophie de la Nature, ch. II.

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