Textes philosophiques

Victor Frankl     la foi religieuse, volonté de sens


     "Un homme qui a trouvé une réponse à la question du sens de la vie est un homme religieux ; c'est le propos d'Albert Einstein que je cite dans l'appendice de ce livre. Ajoutons aussi que Paul Tillich s'est exprimé de façon analogue en proposant cette définition :
"Être religieux signifie s'interroger passionnément sur le sens de notre vie et être ouvert aux réponses, même si elles nous ébranlent en profondeur." (Paul Tillich, La Dimension oubliée)
En tout cas la logothérapie - qui reste d'abord une psychothérapie, relevant à ce titre de la psychiatrie et donc de la médecine -, peut légitimement se préoccuper non seulement de la "volonté de sens" - selon sa propre expression - mais de la volonté d'un sens dernier, d'un supra-sens, comme je l'appelle volontiers. Or la foi religieuse est, en fin de compte, foi en ce supra-sens, acte de confiance à l'égard de ce supra-sens.
     Certes, une telle conception de la religion est aux antipodes de toute étroitesse d'esprit confessionnelle et de la myopie religieuse qu'elle entraîne, faisant apparemment de Dieu un être préoccupé d'une seule chose : que le plus grand nombre possible d'hommes croient en lui et que, de plus, ils conforment leur foi aux dogmes de telle confession déterminée. Je ne peux concevoir que Dieu soit aussi mesquin. Je ne puis pas davantage concevoir qu'une Eglise prétende exiger de moi que je croie. Je ne puis vouloir croire - pas plus que je ne puis vouloir aimer (c'est-à-dire me contraindre à aimer), pas plus que je ne puis me contraindre à espérer (c'est-à-dire me forcer contre ma propre évidence). Il est des réalités qui ne relèvent pas de la volonté - et que nous ne pouvons donc pas induire à notre gré, sur un simple ordre de notre volonté. Pour prendre un exemple très simple : je ne peux pas rire sur ordre. Si quelqu'un veut me faire rire, qu'il tâche de me raconter une histoire drôle, capable de me faire rire.
     Il en va de façon analogue de l'amour et de la foi : ils ne se laissent pas manipuler. Phénomènes intentionnels, ils ne peuvent se manifester que si apparaissent un contenu et un objet adéquats.
Dans une interview pour le magazine américain Times, la journaliste chargée du reportage me demanda si, à mon avis, l'état d'esprit actuel éloignait de la religion. Je lui répondis que cet état d'esprit n'éloignait pas de la religion comme telle, mais bien de diverses confessions qui n'avaient apparemment rien d'autre à faire qu'à se combattre les unes les autres et à entretenir chez leurs fidèles une hostilité réciproque. La journaliste me demanda alors si cela signifiait que nous aboutirions tôt ou tard à une religion universelle. Je déniai cette éventualité : au contraire, lui répondis-je, nous n'allons pas vers une religion universelle, mais plutôt vers une religion personnelle - une religion personnalisée, une religiosité qui permette à chacun de trouver son langage propre, son langage personnel, le langage qui n'appartient qu'à lui, quand il s'adresse à Dieu.
     Ceci n'exclut pas, évidemment, des rituels et des symboles communs. L'humanité ne connaît-elle pas une pluralité de langues - dont beaucoup, pourtant, utilisent le même alphabet ?
D'une façon ou d'une autre les religions, dans leur diversité, ressemblent aux différentes langues : nul de saurait prétendre sa langue supérieure aux autres - toute langue, quelle qu'elle soit, permet à l'homme d'accéder à la vérité, à l'unique vérité, comme elle lui permet aussi de se tromper, voire de mentir. Toute religion peut, de même, lui permettre de trouver le chemin de Dieu - de l'unique Dieu

Le Dieu inconscient, Psychothérapie et religion,  1975. Extrait de la préface de l'édition française.

Indications de lecture:

Frankl était professeur de neurologie et psychiatrie à la faculté de médecine de l'université de Vienne, il dirigea pendant 25 ans la polyclinique de Vienne. Il est l'inveteur de la logothérapie, ou thérapie par le sens de la vie, qu'il enseigna dans de nombreuses universités (Harvard, Stanford, Pittsburg, San Diego). Rescapé juif des camps nazis, Viktor Frankl est le fondateur après Freud et Adler, d'une approche psychologique et psychiatrique, la Troisième Ecole Viennoise, qui a révolutionné la psychothérapie. Pour lui, bien au-delà de la pulsion sexuelle (Freud) et de la volonté de puissance (Adler), la quête de l'homme est avant tout celle du sens.


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