Textes philosophiques

Jean Gebser             la conscience mythique


     "Lorsque l’homme magique sort de l’engourdissement, on assiste à la construction d’une structure nouvelle : la conscience mythique. Quelles en sont les caractéristiques? On peut qualifier de mythique ce qui est dans la complémentarité mutuelle. Il y a des liens de parenté entre l’âme, les images qui la peuplent et le rêve – aussi bien le rêve de l’individu que les mythes des peuples, sortes de rêves collectifs de l’humanité. Non seulement ils sont très proches les uns des autres, mais ce sont des expressions de la conscience mythique, sur le plan de l’humanité comme sur celui de l’individu. Alors que l’homme magique est encore entièrement enserré dans l’univers, ce monde de «pars pro toto», l’homme mythique est celui dont la conscience a la légèreté du rêve: à cette étape du développement, il n’est probablement plus aussi choquant d’associer la notion de conscience à celle de rêve. En effet, chacun sait d’expérience que des processus de prise de conscience se reflètent dans le rêve.

     Si l’homme magique sommeille dans l’indifférenciation, l’homme mythique s’éveille à la polarité, à la complémentarité entre les êtres et les choses. Le mouvement qui s’amorce tend vers une manière de séparation de l’un en deux, qui n’implique toutefois pas encore l’opposition, comme ce sera le cas plus tard dans la rationalité du mental. Cet éveil à la polarité est une prestation incroyable, contribuant au maintien de la vie dans la mesure où se crée un champ de tension: donneuse de vie, la 10 tension était latente dans l’indifférenciation de l’homme magique, elle s’est cristallisée peu à peu. Et puis il y a encore quelque chose : pour la première fois, l’homme acquiert la conscience de ce qu’est le temps. Il participe de manière plus consciente que l’homme magique au déroulement du temps dans ce qu’il a de naturel et de cosmique. En fait, la notion d’espace est encore inconnue à l’homme mythique, comme elle l’est pour le petit enfant ou l’homme magique, incapables de penser l’espace, de se le représenter. Ces particularités se retrouvent chez la déesse grecque Athéna : on dit d’elle, comme d’autres dieux, qu’elle était capable de se rendre d’un lieu à l’autre à la vitesse de la pensée. Elle ne connaît pas la distance, composante de l’espace : en d’autres termes, l’espace n’existe pas. L’homme mythique vit dans la tension vers la complémentarité, dans la polarité. Les nombreux aphorismes d’Héraclite sur la dimension mythique permettent d’appréhender l’homme mythique. Par exemple : «Hadès et Dionysos, c’est le même.» De telles phrases sont des phrases clés. Soyons reconnaissants aux génies capables de traduire en mots un état d’esprit, une situation, une constellation humaine avec la clarté du cristal. Comment comprendre ces quelques mots: Hadès et Dionysos, c’est le même ? Hadès, le dieu des Enfers et Dionysos, le dieu de la lumière, du soleil devraient être pareils ? Ils le sont cependant, dans la mesure où ils représentent les deux pôles d’une même structure".

L'image de l'homme et la conscience, conférence de 1965, p. 9-10.

Indications de lecture :

Voir Ken Wilber qui situe Gebser dans la philosophie intégraliste, de même que S. Aurobindo. Gebser est quasiment inconnu des lecteurs français.

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