Textes philosophiques

Georges Gusdorf   la pensée 68, une régression intellectuelle


    "Des philosophies diverses se sont proposées pour occuper le terrain ; on a assisté depuis 1945 à la vogue successive de l'hégélianisme, de la phénoménologie et de l'existentialisme, du freudisme, du structuralisme, du néo-positivisme, de la sémiotique, puis de ce qu'on a appelé la « nouvelle philosophie », appellation curieuse, car les philosophies précédentes n'étaient pas bien anciennes. Il est vrai qu'elles vieillissaient très vite, dans la mesure où elles se trouvaient incorporées de gré ou de force dans l'inflation galopante d'une culture soumise à la pression forcenée des instruments de communication de masse : journaux, magazines, radio, télévision.
      La consommation culturelle, alimentée par une production imprimée et audiovisuelle en constante augmentation, doit sans cesse presser la cadence, renouveler la curiosité grâce à des produits nouveaux. L'actualité s'use vite, et la déflation suit de près l'apothéose. Des luttes d'influence impitoyables se livrent entre les divers clans qui se disputent le contrôle du marché intellectuel. L'invasion du structuralisme est un bel exemple de conquête rapide du terrain, suivie d'une non moins rapide éviction. La linguistique structurale a résisté, grâce à la maîtrise des infrastructures pédagogiques. Mais cet obscurantisme sera éliminé à son tour par une mode nouvelle, qui vaudra à ses initiateurs honneurs et profits pendant la durée précaire de sa domination. L'accélération des rythmes intellectuels est aggravée par la tendance des maîtres en place à suivre le mouvement, faute de pouvoir le précéder, tant ils sont anxieux de manquer le prochain train ; ils s'imaginent  pouvoir se rajeunir en courant derrière les plus jeunes, ou en se livrant à de constantes surenchères. Les « nouveaux philosophes », pour leur part, ont vieilli à toute allure ; ou plutôt ils étaient vieux dès leur naissance. Ils voulaient tente une cure de désintoxication par rapport aux poncifs régnants ; mais, pris au piège de moyens de communication, ils n'ont abouti qu'à lancer une mode nouvelle, aussi fugitive que les précédentes. La philosophie est devenue denrée périssable.

     Les philosophies de la frénésie prennent appui sur la frénésie du temps ; cailloux roulés par le courant. Il s'agit d'être l'homme du moment, celui qui dit le mot de la situation au bon moment, c'est-à-dire sous l'œil des caméras de la télévision et des reporters des magazines. La pensée doit claquer comme un flash photographique ; peu importe si son éclat s'abolit dans l'instant qui suivra. D'où l'indifférence à la contradiction, considérée d'ailleurs comme un signe d'originalité supplémentaire. Les divers prophètes de la mort de l'homme, idée arbitraire et périmée, se sont fait une belle réputation, en accord, il faut le reconnaître, avec la baisse générale de la valeur de la vie humaine sur la planète Terre au XXe siècle. Mais l'un des brillants propagateurs du requiem pour le sujet prend violemment la défense des fous, des criminels et autres génies méconnus et réprimés par l'ordre social. Si l'homme n'existe pas, pourquoi des droits de l'homme ? et pourquoi le criminel ou le fou existeraient-ils davantage que tout un chacun ? Un autre illustre négateur de la première personne publie son autobiographie tropicale dans l'inspiration de Jean Jacques, puis, ayant modestement fait valoir ses mérites, se fait admettre au Collège de France et à l'Académie Française, sans doute pour mieux se prouver à soi-même son inexistence. Un troisième tue sa femme, ce qui atteste qu'il lui reconnaissait un minimum de réalité.

Rétracation, en complément de Mythe et métaphysique, édition 1984, p. 32-33.

Indications de lecture:

C'est Althusser qui est visé pour le meurtre de sa femme. Sur la fin du texte il est question de Michel Foucault. Cf. Six études sur la société, ch V. Voilà qui plaide pour les thèse de René Guénon dans La crise du monde moderne et la suite, Le règne de la quantité. Un signe que l'on a touché le fond du Kaili-yuga!  Cf. Eléments de philosophie de l'Histoire. En particulier ch. VII et VIII.

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