Textes philosophiques

Georges Gusdorf       vertu de force et maîtrise de soi


    " La vertu de force apparaît d'abord maîtrise de soi, au sens d'un contrôle par la personne, et d'un regroupement de ses moments et de ses attitudes. Être maître de soi, c'est avoir centré sa vie en elle-même, de manière à la maintenir en position d'équilibre ; au lieu de se laisser capturer, fasciner, par l'émotion de l'instant ou par la séduction passionnelle, c'est avoir réalisé une seconde lecture de la vie personnelle qui, loin de s'éparpiller dans le temps, se ressaisit, en prenant ses distances par rapport à l'environnement et à l'événement. Qui ne se contrôle plus, dans l'exaspération de la colère, dans l'effondrement de la peur, se montre en situation d'infériorité comme un homme ivre ou fou. Incapable d'assumer la charge de sa vie, il éveille chez le témoin une gêne, une sorte de pudeur devant la nudité de son être ainsi mise en lumière. Impression d'ailleurs fausse, car cette réduction à l'élémentaire ne manifeste pas pour autant le visage le plus authentique de la personne ; l'homme étant ce qu'il veut être, ce qu'il se fait, il est sa propre édification, de sorte qu'il n'apparaît pas mieux dans son authenticité lorsqu'il démissionne et se détruit.
     La nature de l'être humain se réalise dans sa propre culture. Chaque univers personnel demeure en quête de son centre et de sa loi. La maîtrise de soi s'affirme d'abord comme vertu de style, maîtrise des apparences : c'est l'impassibilité japonaise, la froideur anglo-saxonne, la disponibilité de l'acteur ou encore la parfaite technique de défense du criminel qui n'avouera jamais. Mais il ne s'agit ici que d'une qualité formelle, qui ne préjuge pas du fond, car le sang-froid du héros n'est pas, en tant que tel, distinct de celui de l'assassin. La vertu de force suppose, par-delà ce contrôle purement technique de l'expression dans l'ordre de la politique extérieure, une politique intérieure de la vie personnelle, qui se reclasse pour s'organiser en hauteur ou en valeur. je suis mon propre maître, c'est-à-dire que j'échappe à la domination d'autrui, à la surprise de l'instant ; mais je ne suis pas mon propre esclave, esclave de mes caprices ou de mes fantaisies. je sais ce que je veux, je sais ce que je vaux. Surtout je sais ce que je me dois à moi-même, parce que j'ai reconnu mon identité en valeur, et j'ai pris une fois pour toutes le parti d'affirmer cette identité.

La vertu de force. P.U.F. 1967, p. 105-106.

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