Textes philosophiques


Axel Kahn        l'idéal positiviste du progrès


   "Saint-Simon surenchérira : « L’imagination des poètes a placé l'âge d’or au berceau de l’espèce humaine, parmi l’ignorance et la grossièreté des premiers temps. C’était bien plutôt l’âge de fer qu’il fallait y reléguer. L’âge d'or du genre humain n’est point derrière nous, il est au-devant, il est dans la perfection de l'ordre social. Nos pères ne l’ont point vu, nos enfants y arriveront un jour. C'est à nous de leur en frayer la route 1 »
     L’optimisme progressiste de ces temps repose sur la certitude que le progrès de l’éducation, et donc de la raison, permettra aux sciences et aux techniques d’être des moyens privilégiés de l'épanouissement et du bonheur humains. Le progressisme politique s’enracinera dans cette conviction dont Auguste Comte, qui commença sa carrière comme secrétaire de Saint-Simon, fera le soubassement de sa philosophie positiviste. Celle-ci s’exprime en particulier par la loi des trois états : après que l'humanité a passé par son état théologique (le pouvoir des prêtres), puis par son état métaphysique (l'interrogation sur la nature profonde, la raison d’être, des phénomènes et des gens), elle est maintenant parvenue à son état positif, ou scientifique. L’homme, ayant abandonné son vain questionnement sur le « pourquoi » et se concentrant désormais sur le « comment », devient maître de son destin. Les sciences peuvent elles-mêmes être rangées selon une progression à l’origine de laquelle se trouve la mathématique, sorte de linguistique rationaliste, suivie de la physique, de la chimie... pour aboutir à la connaissance suprême, procédant de tous les savoirs, la sociologie. Celle-ci donne accès aux lois gouvernant l’avenir de l’homme dont le chemin est clairement défini par la maxime positiviste : « Le progrès pour but, l'ordre comme moyen b »

     L'influence de cette pensée dans le monde du XIXe siècle et du début du XXe siècle est considérable. En Amérique latine, la plupart des révolutions sont conduites par des élites habitées de l’idéal positiviste. Le drapeau du Brésil, immense pays de 200 millions d’habitants, annonce encore fièrement : « Ordetn y Progresso ». La foi en ce caractère inéluctable d’un progrès libérateur, le « pas collectif du genre humain » dont parle Victor Hugo, cette notion d'une ascension qui rapproche l’homme indéfiniment d’un tenue idéal », selon la définition qu’en donne Jean-Paul Sartre, présuppose l’existence d'un mécanisme interne, d’une loi scientifique de la nature établissant un sens de l’Histoire, idée que reprennent le philosophe allemand Hegel, puis Marx et Engels. Cette conviction est cependant largement infalsifiable, pour reprendre l’expression utilisée par Karl Popper pour définir le caractère non scientifique d’une proposition. On a affaire à une croyance plutôt qu'à une science, ce qui explique sans doute la naissance d’une véritable religion positiviste, dont des églises, quoique en pleine décadence, subsistent encore au Brésil".

Raisonnable et humain? Nil, p. 129-130 sq.

Indications de lecture :

     Thème traité en détail dans Le Procès de la Technique. 1. Saint-Simon, in Œuvres de Saint-Simon et d'Enfantin, E. Dentu, Paris 1868-1876, vol. XV, rééd. Anthropos, Paris. 1966. La réfutation radicale, au point de retourner entièrement l'argument de l'âge d'or ouvert par la science est chez René Guénon qui démontre que l'épopée de la Modernité conduit droit à l'âge de fer, le kali-yuga. Voir La Crise du Monde Moderne. La preuve que l'idéal positiviste n'était qu'une croyance est chez Comte lui-même dans son Catéchisme positiviste. Il croyait de son vivant pouvoir prêcher à Notre Dame la religion positiviste en remplaçant les saints par les savants! La secte (c'est le terme exact) positiviste existe encore au Brésil.

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