Textes philosophiques

Rousseau         Une machine ne pense pas


      Plus je réfléchis sur la pensée et sur la nature de l’esprit humain, plus je trouve que le raisonnement des matérialistes ressemble à celui de ce sourd. Ils sont sourds, en effet, à la voix intérieure qui leur crie d’un ton difficile à méconnaître : Une machine ne pense point, il n’y a ni mouvement ni figure qui produise la réflexion : quelque chose en toi cherche à briser les liens qui le compriment ; l’espace n’est pas ta mesure, l’univers entier n’est pas assez grand pour toi : tes sentiments, tes désirs, ton inquiétude, ton orgueil même, ont un autre principe que ce corps étroit dans lequel tu te sens enchaîné. Nul être matériel n’est actif par lui-même, et moi je le suis. On a beau me disputer cela, je le sens, et ce sentiment qui me parle est plus fort que la raison qui le combat. J’ai un corps sur lequel les autres agissent et qui agit sur eux ; cette action réciproque n’est pas douteuse ; mais ma volonté est indépendante de mes sens ; je consens ou je résiste, je succombe ou je suis vainqueur, et je sens parfaitement en moi-même quand je fais ce que j’ai voulu faire, ou quand je ne fais que céder à mes passions. J’ai toujours la puissance de vouloir, non la force d’exécuter. Quand je me livre aux tentations, j’agis selon l’impulsion des objets externes. Quand je me reproche cette faiblesse, je n’écoute que ma volonté ; je suis esclave par mes vices, et libre par mes remords ; le sentiment de ma liberté ne s’efface en moi que quand je me déprave, et que j’empêche enfin la voix de l’âme de s’élever contre la loi du corps.

Émile , G.F. p. 364.

Indications de lecture :

      cf. Leçons

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