Textes philosophiques

Bertrand Russel  la relation entre le corps et l'esprit


     ""Le problème de la relation entre physiologie et psychologie est plus difficile. Il y a deux questions distinctes : 1° peut-on admettre que notre comportement corporel est dû uniquement à des causes physiques ? 2° quelle relation existe entre les phénomènes mentaux et les actions simultanées du corps ? Le comportement corporel est seul observable de l'extérieur : nos pensées peuvent être déduites par les autres, mais ne peuvent être perçues que par nous-mêmes. C'est du moins ce que dit le bon sens. En toute rigueur théorique, nous ne pouvons pas observer les actions des corps, mais seulement certains effets qu'elles ont sur nous ; ce que les autres observent en même temps peut être semblable, mais diffère toujours plus ou moins de ce que nous observons. Pour cette raison et pour d'autres, le fossé entre la physique et la psychologie est moins large qu'on ne le pensait auparavant. On peut considérer que la physique prévoit ce que nous verrons dans certaines circonstances : en ce sens, elle est une branche de la psychologie, puisque notre vision est un phénomène « mental ». Ce point de vue a pris de l'importance en physique moderne, à cause du désir de ne rien affirmer qui ne soit matériellement vérifiable, et parce qu'une vérification est toujours une observation faite par un être humain, donc un phénomène qui relève de la psychologie. Mais tout cela appartient plutôt à la philosophie de ces deux sciences qu'à leur pratique ; leurs techniques restent distinctes, en dépit du rapprochement de leurs sujets.
    Revenons aux deux questions posées au début du paragraphe ci-dessus : […] si nos actions corporelles ont toutes des causes physiques, notre esprit perd toute importance comme cause. C'est uniquement par des actes corporels que nous pouvons communiquer avec autrui, ou agir sur le monde extérieur : nos pensées n'ont d'importance que si elles influent sur ce que fait notre corps. Mais, étant donné que la distinction entre le mental et le physique n'est qu'une question de commodité, nos actes corporels peuvent avoir des causes qui sont entièrement du domaine de la physique, et cependant des phénomènes mentaux peuvent figurer parmi ces causes. La question pratique ne peut pas être formulée en fonction de l'esprit et du corps. On peut peut-être l'énoncer ainsi : nos actes corporels sont-ils déterminés par des lois physico-chimiques ? S'ils le sont, existe-t-il néanmoins une science psychologique indépendante, qui étudie directement les phénomènes mentaux, sans intervention de la notion artificielle de « matière » ?
    On ne peut répondre avec certitude à aucune de ces questions, bien qu'il existe des arguments en faveur affirmative à la première. Les preuves ne sont pas directes : nous ne pouvons pas calculer les mouvements d'un homme comme ceux de la planète Jupiter. Mais on ne peut pas fixer de frontière nette entre les corps humains et les formes inférieures de la vie ; il n'existe nulle part un fossé qui puisse inciter à dire : ici la physique et la chimie cessent de suffire. Et, comme nous l'avons vu, il n'existe pas non plus de frontière nette entre la matière vivante et la matière inerte. Il paraît donc probable que la physique et la chimie règnent partout.

 

 Science et religion, 1935, tr. fr. P.-R. Mantoux, 1975, Folio essais, pp. 149-151

Indications de lecture:

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