Textes philosophiques

Satprem     le grand filet du mental dans cette totalité indivisible


     "Et si le but de l’évolution est d’entraîner ces millions de petits points évolutifs que nous sommes vers leur totalité—totalité de conscience, totalité d’être, totalité de pouvoir et de vision, et finalement totalité de joie parce qu’il n'y a que ça qui manque, et comment la joie pourrait-elle être dans ce qui est tronqué?—-, il fallait bien qu’elle trouve le moyen de rendre chacun de ces points conscient de son individualité. Ainsi a-t-elle jeté le grand filet du Mental dans cette totalité indivisible où d'anciens hominiens couraient avec les troupeaux d’aurochs et battaient à l'unisson des lunes et des lentes glaciations dans un même flux d'être qui reliait tout à tout, l’oiseau de Sibérie aux lagunes des tropiques et l’hominien aux sourdes pulsions de la tribu—sans erreur, sans toi, sans moi, sans là-bas, ici, demain, hier, et toute la horde des peines de ne pas savoir et d’être un homme tout seul dans sa peau. Le mental, c’est le grand diviseur. C’est sa nécessité évolutive et sa qualité mortelle. Il a tout divisé, il n’est pas une chose qui échappe à sa fragmentation: le bien, le mal, la vérité, le mensonge, le temps, l’espace, le près, le loin, l’enfer, le salut, l'esprit, la matière, et toi et moi et les millions de petits moi à des distances sidérales les uns des autres—mais qui se savent être moL Et toute l’impuissance de ne plus savoir directement, et tous les moyens par millions pour rapprocher ce qu’ils ont éloigné, traverser les étendues qu'ils ont bouchées, connaître ce qu’ils ont oublié, sentir ce qu'ils ont enfermé sous des carapaces plus dures que celles de leurs frères dinosaures, aimer malheureusement, douloureusement, séparément, ce qui s’aimait tout ensemble et chacun comme l'autre, dans une joie qui n'avait même pas besoin de s’appeler joie. Tout le parcours du mental—cette immense trajectoire du moi sous une peau seule, cette formidable réinvention de tout par des ersatz, ce truquage sans fin—pour tenter de retrouver le seul truc, la simplicité UNE qui remettrait tout ensemble d'un seul coup d’aile, un seul coup d'œil, un seul battement d’être enfin, une seule connaissance qui serait comme de l’amour enfin qui peut. Les millions de couleurs du seul tableau complet, les mille évangiles du seul Rayon tranquille, les mille appareils du seul pouvoir d’être, les mille petits êtres d’un seul être, les mille misères asphyxiantes dans un bocal inventé. En vérité, l’homme qui croit que son mental fut fait pour être l’inventeur de sublimes philosophies et d’équations divines et de tableaux raphaéliques, est un fou de l’évolution. C’est l’inventeur de la division nécessaire et du mensonge nécessaire et de la. douleur nécessaire et de l’illusion nécessaire pour que chacun des points évolutifs retrouve dans un être individuel l’ÊTRE total, dans une conscience individuelle la conscience totale et dans une impuissance inviduelle la puissance totale. Et la joie d’être enfin.

Mère, tome I, le matérialisme divin,  Robert Lafont, 1976, p. 216-217.

Indications de lecture:

Voir les textes de S. Aurobindo.

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