Textes philosophiques

Fabian Scheidler    l'imaginaire apocalyptique


     L’imaginaire apocalyptique est l’un des traits les plus saillants de ce que nous appelons la « civilisation occidentale ». Le cinéma hollywoodien, par exemple, est littéralement obsédé par l’idée de destruction du monde. Mais l’imaginaire apocalyptique ne se réduit pas à cette idée : il nous traverse bien plus profondément. A l’origine, les apocalypses ne s’achevaient pas avec la fin du monde, mais avec la création d’un nouveau monde, d’une Jérusalem céleste. Les utopies rédigées au début des Temps modernes, comme la Cité du soleil de Tommaso Campanella et la Nouvelle Atlantide de Francis Bacon, étaient d’inspiration apocalyptique, de même que les mouvements issus de la Réforme, les anabaptistes et les premiers colons d’Amérique du Nord. Au xxe siècle, les plans de ville futuriste de Le Corbusier ou le projet de créer un « homme nouveau » en Union soviétique – même si leurs promoteurs auraient fermement démenti toute inspiration religieuse – étaient au fond les formulations achevées d’un programme apocalyptique vieux de plus de deux millénaires. Ce n’est pas un hasard si les plans en damier des quartiers d’affaire modernes et leurs façades de verre, dans lesquelles se reflète le soleil, rappellent la description de la Nouvelle Jérusalem dans l’Apocalypse de Jean. Au cours de l’histoire, l’imaginaire apocalyptique s’est révélé littéralement opiniâtre. C’est étonnant à quel point il traverse la plupart des systèmes de pensée. Il est chez lui aussi bien dans le christianisme que dans le culte athé du progrès. On le retrouve dans les espoirs communistes en un nouveau commencement de l’humanité et dans l’idée que le capitalisme triomphant serait la « fin de l’histoire », telle que Francis Fukuyama l’a formulé.

     Mais ce n’est pas seulement notre imaginaire qui est obsédé par la pensée apocalyptique. Aucune autre civilisation n’a jusqu’à présent réussi à produire plusieurs éventualités réelles de fin du monde, de la guerre atomique au désastre écologique en passant par la dissémination de virus mortels hors des laboratoires où ils ont été trafiqués. Ces scénarios réels sont liés d’une manière singulière aux scénarios imaginaires : on dirait presque que c’est la quête multimillénaire de la nouvelle Jérusalem qui, précisément, a conduit aux potentiels de destruction qui menacent aujourd’hui notre avenir. Car le revers du Meilleur des Mondes que nous offre la société de consommation est une planète pillée et calcinée ; le revers de la maîtrise de la puissance atomique – à laquelle sont liées les utopies les plus audacieuses depuis les années 1950 – est la possibilité d’une guerre anéantissant tout ; et la création de formes de vie artificielles dans les laboratoires entraîne le danger d’une pandémie globale. Qui sont les extra-terrestres qui dévastent la Terre dans les films apocalyptiques comme Independence Day et Oblivion ? En fait, c’est nous".

 La fin de la mégamachine, ch. IV.

Indications de lecture:

Voir les textes de Jacques Ellul sur le même thème.

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