Textes philosophiques

Simone Weil    les partis politiques, organisation à tendance totalitaire


     La seconde condition est que le peuple ait à exprimer son vouloir à l’égard des problèmes de la vie publique, et non pas à faire seulement un choix de personnes. Encore moins un choix de collectivités irresponsables. Car la volonté générale est sans aucune relation avec un tel choix.

      S’il y a eu en 1789 une certaine expression de la volonté générale, bien qu’on eût adopté le système représentatif faute de savoir en imaginer un autre, c’est qu’il y avait eu bien autre chose que des élections. Tout ce qu’il y avait de vivant à travers tout le pays — et le pays débordait alors de vie — avait cherché à exprimer une pensée par l’organe des cahiers de revendications. Les représentants s’étaient en grande partie fait connaître au cours de cette coopération dans la pensée ; ils en gardaient la chaleur ; ils sentaient le pays attentif à leurs paroles, jaloux de surveiller si elles traduisaient exactement ses aspirations. Pendant quelque temps — peu de temps — ils furent vraiment de simples organes d’expression pour la pensée publique. Pareille chose ne se produisit jamais plus.

       Le seul énoncé de ces deux conditions montre que nous n’avons jamais rien connu qui ressemble même de loin à une démocratie. Dans ce que nous nommons de ce nom, jamais le peuple n’a l’occasion ni le moyen d’exprimer un avis sur aucun problème de la vie publique ; et tout ce qui échappe aux intérêts particuliers est livré aux passions collectives, lesquelles sont systématiquement, officiellement encouragées. L’usage même des mots de démocratie et de république oblige à examiner avec une attention extrême les deux problèmes que voici : Comment donner en fait aux hommes qui composent le peuple de France la possibilité d’exprimer parfois un jugement sur les grands problèmes de la vie publique ? Comment empêcher, au moment où le peuple est interrogé, qu’il circule à travers lui aucune espèce de passion collective ? Si on ne pense pas à ces deux points, il est inutile de parler de légitimité républicaine. Des solutions ne sont pas faciles à concevoir. Mais il est évident, après examen attentif, que toute solution impliquerait d’abord la suppression des partis politiques. Pour apprécier les partis politiques selon le critère de la vérité, de la justice, du bien public, il convient de commencer par en discerner les caractères essentiels.

     On peut en énumérer trois : Un parti politique est une machine à fabriquer de la passion collective. Un parti politique est une organisation construite de manière à exercer une pression collective sur la pensée de chacun des êtres humains qui en sont membres. La première fin, et, en dernière analyse, l’unique fin de tout parti politique est sa propre croissance, et cela sans aucune limite. Par ce triple caractère, tout parti est totalitaire en germe et en aspiration. S’il ne l’est pas en fait, c’est seulement parce que ceux qui l’entourent ne le sont pas moins que lui. Ces trois caractères sont des vérités de fait évidentes à quiconque s’est approché de la vie des partis.

Indications de lecture:

(Attention de ne pas confondre avec la femme politique qui s'écrit Veil).


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