Textes philosophiques

Stuart Mill    le principe d'utilité et le plaisir


        "Il est tout à fait compatible avec le principe d'utilité de reconnaître le fait que certaines espèces de plaisirs sont plus désirables et plus précieuses que d'autres. Alors que, lorsqu'on évalue toutes les autres choses, on considère la qualité tout autant que la quantité, il serait absurde que, pour les plaisirs, l'estimation soit censée ne dépendre que de la seule quantité.

           Si l'on me demande ce que j'entends par une différence de qualité entre des plaisirs, ou ce qui fait qu'un plaisir est plus précieux qu'un autre, en tant simplement que plaisir, mis à part le fait qu'il soit plus grand quantitativement, il n'y a qu'une réponse possible. Si, de deux plaisirs, il en est un auquel tous ceux, ou presque, qui ont expérimenté les deux accordent une nette préférence, sans qu'intervienne aucune obligation morale de le préférer, c'est ce plaisir-là qui est le plus désirable. Si l'un des deux est placé si haut au-dessus de l'autre par ceux qui ont l'expérience compétente des deux, au point qu'ils le préfèrent même en sachant qu'il est obtenu au prix d'un plus grand désagrément, et qu'ils n'y renonceraient en échange d'aucune quantité de l'autre plaisir, aussi grande que ce dont leur nature est capable, nous sommes justifiés d'attribuer à la satisfaction ainsi préférée une supériorité en qualité qui l'emporte tellement sur la quantité que celle-ci, en comparaison, ne compte guère.

      Or, c'est un fait incontestable que ceux qui connaissent également bien l'un et l'autre modes de vie, et sont également capables de les apprécier et d'en tirer une satisfaction, accordent une préférence très marquée à celui qui fait appel à leurs facultés nobles. Peu de créatures humaines consentiraient à être changées en l'un quelconque des animaux inférieurs en échange de la promesse de la quantité maximale des plaisirs de la bête; aucun être humain intelligent ne consentirait à être un imbécile, aucun être instruit à être un ignorant, aucune personne capable de sentiment et de conscience à être égoïste et vile, même si on les persuadait que l'imbécile, l'ignorant ou la canaille sont plus contents chacun de son lot respectif qu'eux ne le sont du leur. Ils ne voudraient pas renoncer à ce qu'ils possèdent de plus que ces gens-là en échange de la satisfaction la plus complète de tous les désirs qu'ils ont en commun avec eux. [...] Il vaut mieux être un être humain insatisfait qu'un pourceau satisfait, Socrate insatisfait qu'un imbécile satisfait".

L'utilitarisme, 1861, trad. Catherine Audard, PUF, coll. Quadrige, 1998, p. 31-37     

Indications de lecture:

    

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