Vladimir Jankélévitch

Textes philosophiques

V. Jankélévitch la figure de Don Juan

"...Si l'aventure garde son caractère aventureux et, en cela, un peu esthétique, c'est grâce à la multiplicité; les aventures se circonscrivent l'une l'autre, chacune repoussant l'autre dans le passé; telles sont les aventures de Don Juan, car Juan, collectionneur de femmes, est comme un Ulysse de la séduction répétée. Mais alors qu'Ulysse résiste aux séductrice, qu'elles s'appellent Circé, Calypso ou les Sirènes, Juan est lui-même le séducteur et farde l'initiative de l'entreprise ; sa promenade est voulue de bout en bout. De même que les navigations d'Ulysse, de Gulliver ... sont des voyages en plusieurs épisodes autour des prodiges et des merveilles, ainsi Don Juan, cet aventureux qui est presque un aventurier, fait le tout des féminités successives; sa vie aventurière est un périple de beauté en beauté, chaque merveille refoulant dans le passé la merveille précédente. Le pluriel polygamique des bonne fortunes empêche l'enracinement tragique de l'amour au centre de l'existence... entretient en somme le caractère frivole de chaque aventure. Le serment d'amour est une promesse de futurition; le oui de l'amour, sous peine de contradiction, se veut éternel au moment où on le prononce : la répétition dérisoire d'une serment de fidélité empêche donc l'aventure de devenir coextensive à la vie: car l'itération est naturellement futilisante. Juan le parjure détruit l'une par l'autre les éternités successives. "

L'aventure, l'ennui le sérieux, Champ, p. 47-48.

Indications de lecture :

(1903-1985). Cf. Leçon sur l'aventure. Voir aussi la recherche du bonheur, part A.

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