Textes philosophiques

Jean-François Revel   fossoyeurs du communisme


     « Lorsque, après le coup d’Etat d’octobre 1917, Trotski déclara que le gouvernement provisoire avait été « envoyé au dépôt d’ordures » (ce que les Français traduisirent avec bonheur pas « était tombé dans les poubelles de l’histoire ») ; lorsque, en 1956, Khrouchtchev cria à des journalistes occidentaux : « Nous vous enterrerons tous ! », le régime affichait son inébranlable confiance en lui-même, jointe à ses persistantes et indubitables dispositions d’éboueur et d’entrepreneur de pompes funèbres. Tout comme son héritier Mao avec ses Cent Fleurs, cultivées sans doute en vue de couronnes mortuaires, ainsi qu’on devait le découvrir. Mais, ce dont ces héros ne se doutaient pas, c’est que ces propos allaient s’appliquer à eux-mêmes, au communisme et non au capitalisme. Ils commencèrent par enterrer une foule de communistes, bourrant les cimetières de leurs propres populations. Aujourd’hui, leur système à son tour tombe dans leurs chères « poubelles de l’histoire ». C’est à Lénine qu’en revient le mérite. Ses plagiaires ont tenté et tentent toujours de s’approprier la gloire qui appartient au seul père fondateur. Staline, Brejnev, Mao, Castro, Ceausescu rivalisèrent pour conquérir le titre de fossoyeur du communisme, et Gorbatchev lui-même chercha à les déborder avec son élégante manœuvre de la perestroïka ou euthanasie par la réforme. En vain tous ces disciples plats et imitateurs abusifs dirigent-ils sur eux-mêmes la lumière noire de l’échec absolu. C’est à Lénine seul que revient la paternité « objective » de la formule infaillible qui devait y conduire. Ses successeurs n’ont fait que l’appliquer .Et avec moins de virtuosité que lui, d’ailleurs. Les expériences d’une telle intégralité négative et de cette cataclysmique ampleur sont rares en histoire. Il serait mesquin d’en refuser la paternité à l’auteur génial d’une telle prouesse. Certes, le système lui a survécu un nombre incroyable de lustres. Mais pourquoi ? Précisément parce qu’il avait inventé aussi les vains palliatifs de la survie temporaire, les subterfuges inopérants de l’interminable réanimation provisoire. Dès 1921, son régime était en complète déconfiture. S’il a dû laisser à un lointain héritier la joie de présider à la chute finale, il a, malgré la brièveté d’un règne écourté par une cruelle maladie, réussi à signer en un temps record un succédané acceptable de la faillite définitive. Dans l’espoir de ravir à Lénine la première place, les générations ultérieures de dirigeants ont régulièrement entretenu le mythe que les cataclysmes et les crimes jalonnant l’histoire soviétique proviendraient d’ « infidélités à la pensée de Lénine ». La ritournelle de la « révolution trahie » et de la nécessité d’un « retour à Lénine » accompagne chaque dénonciation des erreurs du coupable antérieur. Après Khrouchtchev et Brejnev, Gorbatchev lui-même, un temps, n’a pas failli à cette règle. Si comme quoi que ce fût avait eu lieu en Union soviétique depuis 1917 qui ne découlât point du Léninisme ! Nul besoin d’y revenir. Certes, chaque épigone, surtout Staline – un perfectionniste -, a su interpréter sa variante personnelle dans la bévue, l’ineptie, le meurtre et le despotisme. Mais ils ont bel et bien tous œuvré à l’intérieur d’un système créé de toutes pièces par Lénine. Sans cet instrument de base, ce stradivarius de l’Apocalypse, aucun des élèves n’aurait pu jouer son air à lui. En vain l’orgueil des copistes rattache-t-il à des prétendues « déviations » de leur cru un long chapelet de catastrophes dont l’ancrage initial remonte à la féconde matrice léniniste d’origine".

Le regain démocratique, fayard.

Indications de lecture:

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