Textes philosophiques

Raymond Ruyer    lois primaires et lois secondaires


     « Il faut avoir soin de parler de lois physiques et non de réalités physiques. Il n’y a pas un genre de réalité méritant par elle-même et substantiellement le nom de physique, il n’y a qu’un mode de légalité physique. Ce mode peut jouer entre des éléments de nature quelconque : animaux ou hommes, aussi bien que molécules ou corpuscules en tout genre. Une bande d’animaux migrateurs, une troupe de soldats en marche, une file d’automobilistes dont chacun ne considère que son prédécesseur immédiat, donnent lieu à des mouvements d’accordéon ou à des amplifications de méandres exactement analogues à ceux que le monde physique nous présente. Beaucoup de lois d’économie politique, dans leur forme schématique, sont des lois physiques parce qu’elles reposent justement sur cette supposition toute négative que l’homo œconomicus réagit à ses besoins individuels sans entente avec les autres producteurs ou consommateurs. Les lois qui expriment les rapports numériques des prédateurs et de leurs proies sont également des lois physiques, bien que portant sur des êtres vivants. On peut les mettre sous une forme mathématique, et l’allure de ces lois n’a aucun rapport interne avec les seules actions réelles dans le phénomène, à savoir les instincts animaux de prédation, de fuite, de reproduction, etc. La preuve en est que cette allure – celle des « oscillations de relaxation » – se retrouve dans une foule de phénomènes qui n’ont absolument rien à voir avec de tels instincts.

                 Inversement, il n’est pas du tout certain que dans tous les chapitres de ce que l’on continue d’appeler « la physique », et dans ceux qui traitent d’individus tels que molécules, atomes ou leurs constituants, toutes les lois soient vraiment des lois physiques. Les lois non statistiques, les lois primaires recouvrent sans doute de véritables actions, analogues à celles que l’on trouve dans les instincts et les actes psychiques. Sous le niveau des phénomènes obéissant à des lois de maximum et de minimum, en physique aussi bien qu’ailleurs, il est possible et probable que l’on retrouvera des faits d’un tout autre genre. Les lois vraiment primaires de la physique peuvent fort bien ressembler par exemple à des lois linguistiques, et porter sur des assimilations, ou des rencontres qui ressemblent plus aux assimilations ou aux rencontres de deux morphèmes qu’au choc de deux atomes selon le schéma cartésien. »

      Éléments de psycho-biologie, 1946, 235-236.

Indications de lecture:

cf. Leçon sur la loi dans la théorie scientifique.

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